Dr. Annette Cina, psychologue spécialisée en psychothérapie FSP
Est-il possible pour une mère de ne véritablement pas aimer son enfant?
C’est le cas pour certaines femmes qui se disent incapables de voir les côtés positifs de leur enfant et admettent éprouver un certain dégoût. Il s’agit cependant selon moi d’un blocage psychologique qui les empêche de créer un quelconque lien émotionnel.
Pourquoi un tel rejet?
La naissance d’un enfant peut être difficile en raison des nombreux changements qu’elle engendre. La femme est catapultée dans un rôle auquel elle n’était pas forcément préparée. Elle se retrouve dans une position où elle donne davantage qu’elle ne reçoit et cela peut être difficile à accepter. La maternité étant sacralisée, elle se doit d’aimer son enfant dès le premier regard. Or, ce n’est pas toujours le cas, car certaines mères ont besoin de temps pour apprendre à créer un lien avec leur enfant et peuvent se sentir en situation d’échec. Face aux grandes attentes de la société, elles ont des exigences démesurées envers elles-mêmes et sont complètement perturbées en cas de perte de contrôle. L’arrivée d’un bébé est souvent chaotique. Déstabilisées par l’écart entre leur vision de la famille et la réalité, elles projettent leurs colères et frustrations sur l’enfant.
Quelle influence l’enfance de la mère a-t-elle sur elle?
Son passé familial influence bien sûr la façon dont elle se comporte en tant que parent. Si elle n’a pas été aimée petite, elle peut avoir des difficultés à donner de l’amour à son tour. Les enfants font rejaillir des blessures parfois très enfouies et ravivent des sentiments que l’on croyait pouvoir contrôler jusque-là.
Quel rôle la dépression post-partum joue-t-elle?
Sans en être la raison principale, cette dépression représente bien évidemment un risque dans la construction de la relation mère-enfant. Dans une telle situation, une prise en charge est indispensable.
Quelles sont les éventuelles séquelles pour l’enfant?
Un manque d’estime de soi. La mère ne lui donnant pas la sécurité affective dont il a besoin, il aura tendance à penser en grandissant qu’il n’est pas assez bien pour être aimé. Ces blessures peuvent être atténuées s’il peut créer un lien d’attachement avec le père. Le soutien du conjoint est donc primordial. En plus d’épauler la mère, il peut s’avérer être le pilier nécessaire au bon développement de l’enfant.
Un homme qui n’a aucun lien émotionnel avec son enfant choque moins qu’une femme dans la même situation. Pourquoi?
Les rôles des parents sont bien définis par la société. La mère a le devoir d’aimer alors que le père en a la liberté. Si l’on en attendait autant des deux, cela scandaliserait beaucoup moins qu’une femme n’y parvienne pas. Or, on exige d’elle une abnégation totale, nourrie par l’image de la maman exemplaire et dévouée, véhiculée depuis les années 1950. Il est extrêmement difficile dans ces conditions de partager cette souffrance sans être immédiatement pointée du doigt. Ces femmes ont néanmoins besoin de pouvoir en parler librement, pour être en mesure de se faire aider et d’aller de l’avant.