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Borréliose

Un malade pas si imaginaire

Philippe Jaccard, atteint de borréliose ou maladie de Lyme depuis plusieurs années, mène un combat solitaire. Entre crises et rémission, il raconte sa galère médicale.

Texte Patricia Brambilla
Photos Pierre-Yves Massot
Date
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Philippe Jaccard semble aujourd’hui aller mieux, mais son état de santé reste incertain.

A première vue, il va bien. Torse d’athlète, regard vert d’eau, peau tannée de ceux qui vivent beaucoup à l’extérieur. Philippe Jaccard, 56 ans, responsable d’un département informatique à Lausanne, est un grand sportif, professeur de ski même. Mais peut-être faudrait-il dire «était». Car depuis que sa route a croisé celle des tiques, son quotidien a été bouleversé.

Philippe Jaccard fait partie des quelque 10 000 personnes qui contractent la borréliose chaque année en Suisse (chiffre OFSP). Pour certains, les plus chanceux, l’affaire est réglée en un seul traitement. Sans séquelles. Pour les autres, c’est la souffrance et l’errance médicale pendant de longues années.

Dans son cas, l’histoire se passe en deux temps. Il y a vingt-cinq ans, Philippe Jaccard est au sommet de sa forme, il multiplie les activités outdoor: grimpe, rando, vélo. Son temps libre, il le passe en nature, en forêt ou collé aux falaises à chercher des voies. Jusqu’à cette première piqûre de tique. «Je n’avais pas vu l’acarien et je n’ai pas eu d’érythème. Mais les symptômes apparus, sans doute plusieurs mois après la piqûre, étaient clairs.» Les symptômes? Une très forte fatigue au point de ne plus arriver à ouvrir les portes en fin de journée et surtout une hémiplégie faciale, qui survient généralement à un stade avancé de la maladie.

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Philippe Jaccard était un grand sportif avant sa maladie.

Deuxième coup du sort

Une prise de sang confirme le diagnostic: c’est la borréliose, contractée par la tique – 5 à 30% d’entre elles seraient porteuses de la bactérie responsable de cette maladie en Suisse. Après un traitement de trois semaines aux antibiotiques, Philippe Jaccard retrouve une vie à peu près normale. Un quotidien sportif entrecoupé de phases de grande fatigue. Jusqu’en 2012 où, manque de chance, il retrouve une tique sur son abdomen et le fameux cercle rouge. «J’ai paniqué, d’autant que j’avais à nouveau les mêmes signes que la première fois, avec en prime des brûlures au visage.»

Aux urgences de l’hôpital, les tests sanguins sont faiblement positifs.

Depuis là, Philippe Jaccard a vécu une véritable «descente aux enfers». Sans traitement, il continue à affronter seul des troubles de plus en plus handicapants. D’abord la fatigue chronique, qui l’empêche de partir en randonnée et en escalade bien sûr. Mais surtout des douleurs migrantes aux articulations, une semaine à l’épaule, la suivante à la cheville ou ailleurs.

«En 2016, j’ai dû arrêter de travailler pendant deux mois. J’avais comme des brûlures dans la tête, j’étais incapable de me concentrer et de répondre même à des questions basiques. J’avais perdu 60% de mes capacités mentales.» Commence alors la tournée des médecins pour tenter de comprendre: cardiologue, pneumologue, infectiologue et même un passage d’IRM. «Je n’ai reçu aucun diagnostic. Impossible de déceler quoi que ce soit en dehors de ce qui est interprété comme la trace d’une infection ancienne dans les tests sanguins.»

Philippe Jaccard suit une nouvelle cure d’antibiotiques avec des spectres d’actions différentes pendant quatre mois. Au début, il a l’impression de «sortir de la tombe», mais à la longue, il supporte de moins en moins bien ces médicaments lourds. Et essaie de compléter le traitement avec une approche alternative, aromathérapie et homéopathie, «pour continuer à éliminer la bactérie et favoriser la récupération de l’organisme».

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Le dessin évocateur de Philippe Jaccard: un homme prostré face à une simple tique.

L’impuissance de la médecine

Aujourd’hui, il a repris le travail à plein temps – «j’ai récupéré mes facultés mentales, je peux diriger une équipe, je croise les doigts!» – mais continue d’avoir des douleurs articulaires vagabondes et des brûlures notamment dans les terminaisons nerveuses du dos. Maladie de Lyme chronique? «Des médecins, en Suisse et à l’étranger, avancent des hypothèses sur la persistance après traitement de la bactérie dans l’organisme, la variation possible de cette dernière ou d’un phénomène de co-infection. D’où des traitements différents prescrits à de nombreux patients qui n’ont pas été diagnostiqués et traités selon les protocoles officiels. Le dialogue entre médecins ainsi que la recherche dans le domaine des tests de dépistage n’avancent pas vraiment», observe celui qui a fini par se documenter lui-même. Congrès médicaux, revues spécialisées, livres de médecine et articles de magazines.

«Je semble aller mieux, avec des hauts et des bas, mais je ne sais pas comment j’irai dans une année. Je vis au jour le jour.» L’année passée, il a dû tirer un trait sur ses vacances au Costa Rica en famille. Son état est trop incertain. Mais il s’est acheté un bus-­camping, qui lui permet de faire des siestes partout et n’importe quand. Et qui lui donne le sentiment de l’évasion même à deux pas de chez lui. A 50% de ses capacités physiques, – il est toujours «HS après vingt minutes de marche» – il s’est tourné vers le dessin. Pastels de paysages minéraux, rêve des falaises ocre de Yosemite, mais aussi le croquis en noir et blanc d’un homme prostré, mains ouvertes, tête baissée, face à un intrus dévastateur: une simple tique.

Infos sur www.zeckenliga.ch

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