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«J’veux pas retourner en classe!»

Votre enfant ne veut plus aller à l'école. Il se plaint de maux de ventre, râle sur ses profs... Signes d’une crise d'absentéisme ou symptômes d’une phobie scolaire?

Texte Alain Portner
Photos Illustration: François Maret
Date
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Les problèmes liés au stress ne cessent de croître ces dernières années, y compris au sein des classes. (Illustration: François Maret)

La phobie scolaire explose! «Ce titre revient souvent en une des magazines, surtout français. Et il fait bondir Raphaël Gerber, le chef du Service de psychologie scolaire de la ville de Lausanne : «Cette affirmation est en complet décalage par rapport à notre réalité de terrain. Ce phénomène, nous ne le vivons clairement pas chez nous.»

Pour ce psychologue-psychothérapeute affilié à la Fédération suisse des psychologues (FSP), le problème vient de l’amalgame que l’on a trop souvent tendance à faire en la matière. «Un enfant ne va pas à l’école, et on dit que c’est de la phobie scolaire! On met tout sur le compte de ce trouble, alors qu’il faudrait déjà faire la différence entre absentéisme, refus scolaire et phobie scolaire.»

Ce spécialiste se base ainsi sur quatre définitions pour classifier les élèves qui rechignent à se rendre en classe: l’absentéisme («Je ne veux pas y aller, car il y a mieux à faire ailleurs.»), le refus scolaire oppositionnel («C’est trop contraignant, ça m’emmerde, j’y vais pas!»), le refus scolaire anxieux («J’ai peur d’aller à l’école.»), et enfin la phobie scolaire («J’aimerais bien y aller mais je ne peux pas parce que la peur est trop grande, elle me paralyse.»).

Des jeunes parfois désorientés

Reste que les problèmes liés au stress ne cessent de croître ces dernières années, y compris au sein des classes. «C’est vrai que l’on constate une légère augmentation des troubles anxieux», admet Raphaël Gerber. La faute à qui? «À notre société individualiste où les jeunes sont livrés à eux-mêmes, privés de l’effet de groupe et du collectif, cadrant et sécurisant, qui disparaît. Et aux pressions exercées par les parents et par l’école.»

Dans cet univers impitoyable, ce sont les plus vulnérables et les plus sensibles qui trinquent, évidemment. Des filles comme des garçons, qu’ils soient cancres ou premiers de classe, qu’ils habitent une villa ou un HLM. «Cela touche quand même davantage les milieux privilégiés, corrige le psy. Le trouble anxieux est un luxe que les familles défavorisées ne peuvent pas se payer!»

Si ces difficultés peuvent surgir brutalement – suite à un examen raté, au déménagement d’une amie, à des remarques vexantes d’un prof, à une dispute entre copains… –, elles apparaissent généralement à des moments- clés de l’existence de l’élève: l’entrée à la grande école, les passages aux niveaux scolaires supérieurs et, bien sûr, la délicate traversée de l’adolescence, durant laquelle des fragilités anciennes risquent de resurgir.

Les symptômes de ce mal-être sont également multiples (absentéisme, mauvaises notes, maux divers, agressivité, idées noires…) et pas toujours faciles à repérer. «Souvent, les parents nous disent qu’ils n’ont rien vu venir. Pourquoi? «Parce que les troubles anxieux avancent masqués: les filles ont tendance à se cacher quand elles font une crise d’angoisse et les garçons à camoufler leur anxiété en jouant les caractériels ou en faisant de l’opposition. «Du coup, ces jeunes passent à travers les mailles de notre filet et sont sous-diagnostiqués et sous-évalués au sein de la population.»

Agir le plus rapidement possible

Raphaël Gerber encourage donc école et famille à dialoguer dès que l’une ou l’autre repère des signes de troubles anxieux. «Le hic, c’est que souvent, les pères et mères ont honte d’en parler, craignant de passer pour de mauvais parents. Or, plus le temps s’écoule, plus la situation se dégrade.»

Si l’on a affaire à de l’absentéisme ou à du refus scolaire oppositionnel, il vaut la peine d’obliger l’enfant à aller à l’école, de le cadrer pour le rassurer. Ce qui devrait permettre de résoudre le problème. Et si cette stratégie échoue, c’est peut-être qu’il s’agit de refus scolaire anxieux ou de phobie scolaire, des pathologies nécessitant un suivi psychologique, un traitement médicamenteux et, dans de plus rares cas, une hospitalisation dans une structure médicale spécialisée.

«Là aussi, il faut essayer de maintenir l’élève à l’école, même si ce n’est qu’une demi-journée par semaine. Parce que autrement, on évite l’écueil sans traiter la vraie cause qui a amené à ce trouble et elle réapparaîtra plus tard sous une autre forme. Quel est le pronostic pour ces patients? «Plutôt bon, répond Raphaël Gerber. Ils ont vraiment de grandes chances de réintégrer le cursus scolaire normal à terme.»

La faute à la mère?

Les causes des troubles anxieux en général et de la phobie scolaire en particulier sont diverses et variées. Mais ce qui revient souvent, c’est que leur origine serait à chercher du côté de l’attachement aux parents, principalement à la mère.

«C’est vrai que la phobie scolaire est liée à un problème d’attachement, mais il ne faut pas oublier que cet attachement concerne autant le père que la mère, précise Raphaël Gerber. Et puis, c’est bien plus complexe que cela en réalité…»

«Ce qui est compliqué, c’est que l’on a affaire ici à un surinvestissement des parents qui, à force de vouloir trop bien faire, finissent par étouffer leur enfant.» Conséquence de cette surprotection: le jeune souffre d’un manque d’autonomie et de confiance en lui, il a peur de grandir et de se lancer dans le monde.

«Donc, on va conseiller aux parents de lâcher un peu leur enfant. Et c’est là que ces derniers nous rétorquent qu’ils ne comprennent pas parce qu’ils font déjà tout pour lui. Et c’est vrai, c’est le paradoxe de la phobie scolaire!»

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