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Un enfant doué et épanoui

Que faire face à un enfant particulièrement brillant? Comment le reconnaître et l’aider à grandir? Spécialiste des enfants surdoués, la psychologue Arielle Adda brosse leur portrait et livre ses conseils pour les accompagner sur une route parfois semée d’embûches.

Texte Viviane Menétrey
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Dans son ouvrage «Psychologie des enfants très doués» (paru aux Éd. Odile Jacob et disponible chez Ex Libris), la psychologue française Arielle Adda donne des pistes pour comprendre et détecter les enfants doués (photo: Julien Benhamou).

Arielle Adda, on entend beaucoup de choses sur les enfants doués: qu’ils sont précoces, mais aussi qu’ils n’ont pas d’amis ou sont solitaires. Qu’est-ce qu’un enfant doué?

C’est un enfant qui vit les choses différemment, avec plus d’intensité et une hypersensibilité qui peut paraître exagérée pour les autres. Par exemple, une mauvaise note pourra être vécue comme un véritable drame par un enfant doué alors qu’un autre se dira simplement qu’il fera mieux la prochaine fois. Pour l’enfant doué, c’est la fin du monde, cela signifie qu’il est nul, que ses parents risquent de ne plus l’aimer et qu’il va tout rater à l’avenir. C’est un peu caricatural, mais la réalité n’est pas si éloignée. Tout est vécu de façon plus intense, dans un jaillissement de pensées qui ne s’arrête jamais. Ce processus s’accompagne d’une quantité de qualités, telles l’imagination et une capacité de réflexion, de raisonnement et de créativité incessants. Car un enfant doué va toujours vous surprendre par la profondeur et l’intelligence de ses remarques, cela dès son plus jeune âge. Il y a chez lui une sagesse philosophique à laquelle on ne s’attend pas de la part d’un enfant de cet âge. Parfois, cela le met en décalage avec ses pairs et peut conduire à un certain isolement, voire un rejet de la part des autres.

Hypersensibles, hyperémotifs, hyper- contrôlants, ces enfants se distinguent par le «trop» en toute chose. C’est épuisant, non?

C’est leur façon de vivre les événements. Les neurosciences ont démontré que le cerveau d’un enfant ou d’un adulte doué présente des caractéristiques spécifiques, tel un noyau plus développé que l’autre. On sait aussi de manière certaine, puisqu’on a pu l’observer à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), que la connexion de neurone à neurone est plus développée et plus rapide. Les informations et les raisonnements circulent ainsi beaucoup plus vite, un peu comme on le ferait en prenant une autoroute plutôt qu’une route de campagne.

Dans la vidéo ci-dessous, Arielle Adda précise sa définition de l'enfant doué.

On a souvent l’image du petit génie qui résout des équations ultracomplexes, mais c’est loin d’être le cas pour tous. Comment expliquez-vous ce décalage?

En effet! L’image que l’on donne de ces enfants est parfois effrayante. Je suis récemment tombée sur une émission au sujet des enfants surdoués où on les voyait résoudre des calculs extrêmement compliqués et épeler des mots très difficiles, alors que ceux que je rencontre dans mon cabinet ne savent souvent pas très bien combien font trois fois huit. Le public aime regarder ces performances, car elles ont un côté sensationnel qui fascine, un aspect merveilleux. Mais si être doué revêt un ensemble de caractéristiques communes, il n’existe pas de profil type. Certains enfants doués sont matheux, d’autres sont des virtuoses dans le maniement de la langue. Aucun enfant doué ne ressemble à un autre enfant doué.

L’école n’est pas forcément la mieux armée pour les accueillir. Où se trouve la solution? Dans un saut de classe, ou la création de filières spécialisées?

D’abord il faut impérativement faire un test de QI, car un enfant peut se révéler bien plus doué qu’on ne le soupçonne dans certaines matières et moins doué dans d’autres. Ce d’autant qu’ils s’avèrent très forts quand il s’agit de masquer leurs difficultés, certains arrivant même à cacher une éventuelle dyslexie. Il est très important de déceler les problèmes afin de pouvoir les aider. Quand le diagnostic de la douance tombe, le plus simple reste le saut de classe, l’école primaire étant trop longue pour ces enfants. Les filières spécialisées me paraissent irréalistes, car il en faudrait partout. Mieux vaut donc se tourner vers des associations, telle l’Association suisse pour les enfants à haut potentiel (ASEHP), afin de trouver du soutien. Il est primordial que ces enfants puissent se retrouver entre eux à certains moments, au travers d’un sport ou d’activités plus sérieuses, comme de l’astrophysique ou autre.

Pourquoi tant insister sur leur singularité?

Parce que cette différence qui n’est généralement ni un problème ni une question à la maison est mise en avant et devient gênante à l’école. Le programme scolaire étant prévu pour correspondre à une moyenne, ces enfants ont du mal à s’y contraindre. En général, quand ils entrent en primaire (3e Harmos), ils savent déjà lire et calculer. Que vont-ils faire à l’école? Rien ou peu de choses sont adaptés à leur niveau et ils s’ennuient. Certains décrochent et partent dans leurs rêveries au risque d’être considérés comme lents, voire retardés, tandis que d’autres gigotent et sont alors pris à tort pour des hyperactifs.

Qu’en est-il des filles surdouées, qui passent plus souvent inaperçues?

À mon sens, il s’agit d’un facteur purement génétique, les filles étant plus conformistes et soucieuses d’harmonie. Elles n’ont pas envie d’attirer l’attention sur elles et ont certainement davantage de facilité à trouver des compensations avec des copines, même si elles sont obligées de revoir leurs ambitions à la baisse. Les garçons sont moins enclins au compromis, ils ont plus de mal à s’adapter et seront par conséquent plus vite repérés. À l’inverse, les réactions des petites filles sont le plus souvent tellement intériorisées qu’il faut du temps aux parents pour s’en apercevoir.

Apprendre que son enfant est doué est rarement vécu comme une bonne nouvelle par les parents. C’est un peu le monde à l’envers?

Oui et non, car c’est souvent une personne extérieure à la famille, une maîtresse ou un médecin scolaire, qui soulève une différence dans le comportement, un problème, alors que les parents ne souhaitent qu’une seule chose: que leur enfant soit heureux. Et quand ils pensent à tout ce qu’ils ont entendu dire sur le mal-être de certains enfants doués, ils sont catastrophés. Mais apprendre que leur enfant est doué est aussi un soulagement pour eux, car ils ont enfin une grille de lecture. Ils peuvent prendre contact avec des associations, lire des livres, consulter des psychologues, tout cela est rassurant. Et ils se disent qu’au final leur enfant n’est pas anormal, mais simplement doué. Sans oublier que dans 9 cas sur 10, les parents sont aussi doués, mais l’ignorent souvent.

Une phase de déni suit fréquemment la révélation de la douance. Pourquoi cela?

Les parents se disent que, finalement, cela a été tant bien que mal jusque-là et pensent à tort que cela va s’arranger. Certains vont jusqu’à refuser de faire passer le test QI à leur enfant, quand bien même on le leur a conseillé. Ces cas-là sont dramatiques, car l’enfant n’ayant pas été reconnu dans sa douance et se retrouvant en échec scolaire s’arrête souvent net dans son parcours, alors qu’il aurait pu poursuivre sur la voie des études s’il avait été accompagné.

Passer un test de QI, dites-vous, est le seul moyen de définir si son enfant est doué ou non. Pourtant, beaucoup de voix remettent régulièrement en question sa pertinence.

Bien entendu que l’on ne peut pas réduire un enfant au seul chiffre de QI, et il est vrai que le test a ses faiblesses, mais c’est un élément qu’on ne peut pas négliger. Le premier test date de 1908 et le Wechsler Intelligence Scale for Children (WISC), auquel on recourt en grande majorité dans le monde pour tester les enfants, en est à sa cinquième version.

Il est selon vous préférable de ne pas communiquer le chiffre du QI (la douance est admise à partir de 130) à qui que ce soit. Pourquoi?

Il est en effet préférable de ne pas en parler autour de soi, même au sein de la famille, car cela peut réveiller des jalousies et des querelles passées. Si c’est une donnée connue au sein de la famille où d’autres enfants ont déjà été diagnostiqués, ou que c’est le cas d’enfants d’amis, on peut en parler, mais sinon, mieux vaut éviter le sujet. À l’école, il faut le dire avec une grande prudence, après s’être assuré que l’établissement ait les moyens de l’entendre et de la comprendre. Et si l’on demande un saut de classe, il est préférable de s’abriter derrière le psychologue plutôt que de parler en son nom propre. Quant à son enfant, on lui dit qu’il a un cerveau qui fonctionne très bien et vite, qu’il a peut-être un peu plus d’idées que ses camarades, mais que ces derniers savent faire des choses où lui n’est pas forcément meilleur. On évoque donc ses qualités afin qu’il ne soit pas surpris si les autres n’affichent pas la même facilité en lui disant qu’il possède une machine merveilleuse, un peu comme une voiture de course, et qu’on va l’aider à l’utiliser au mieux dans sa vie future.

Quel est le risque pour un enfant que l’on passe à côté de sa douance

Le danger primordial est qu’il n’apprenne pas le sens de l’effort. Quand tout est facile, on n’apprend pas à se dépasser. Même sans faire d’effort, ces enfants sont en général les premiers. Et cela fonctionne jusqu’au jour où leurs compétences ne suffisent plus. À ce moment-là, ils se retrouvent sans méthode d’apprentissage. Si pour certains cette facilité demeure et qu’ils obtiennent leur maturité sans trop savoir pourquoi, le danger est qu’ils développent le syndrome de l’imposteur. Ils se disent: «J’ai réussi parce que j’ai eu de la chance, mais un jour la chance va tourner.» Ne pas être diagnostiqué pour un enfant doué revient à passer à côté de sa vie et de lui-même.

On a presque l’impression qu’être un enfant doué est voué à être malheureux, solitaire et en échec scolaire. Pourtant, ceux qui vont bien existent. Quel est le secret de leur bonheur?

Quand les enfants doués sont pris en compte, ils vont bien. Ceux qui vont mal sont ceux qui sont ignorés, se sentent incompris, sont en échec scolaire et n’ont pas de copains. Mais si l’école est attentive à leurs besoins, cela se passe bien. On alimente son esprit en l’ouvrant à d’autres univers, on l’emmène au musée, au théâtre. On profite de la chance d’avoir un enfant si riche et merveilleux.

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Arielle Adda (photo: Julien Benhamou)

Bio express

Née à Paris, Arielle Adda est psychologue depuis plus de trente ans. Après avoir travaillé dans des centres médicaux psychopédagogiques et une école de sourds, elle s’est intéressée à la douance à travers son expérience clinique.

En 1999, elle publie Le Livre de l’enfant doué, préfacé par Jean-Charles Terrassier, pionnier dans la prise en compte de la douance chez l’enfant. Puis en 2003, avec Hélène Catroux, L’enfant doué: L’intelligence réconciliée. Elle intervient dans de nombreuses conférences consacrées à la douance chez l’enfant et chez l’adulte et a été la psychologue référente de l’association Mensa France de 1977 à 1998.

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