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Migros chez les Mayas

Le concentré servant à fabriquer le jus de pamplemousse rose de Migros provient d’une coopérative de la péninsule du Yucatán, au Mexique. Au fil des années, le label Fairtrade Max Havelaar a permis le développement d’un partenariat étroit qui profite à tous.

Texte Roland Schäfli
Photos Maurice Ressel
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Avant 2017, l’univers du pamplemousse tournait autour de la Floride. Et puis il y a eu l’ouragan «Irma», qui a anéanti une grande partie des récoltes. L’heure de la péninsule du Yucatán, au Mexique, avait sonné: les importateurs se sont peu à peu tournés vers l’Amérique centrale. Mais une entreprise suisse, Bischofszell produits alimentaires SA (Bina), les avait devancés depuis longtemps. Cette société du groupe Migros avait en effet envoyé ses représentants au Mexique en 2012. «Avec ces hommes de la terre, on ne fait pas affaire au terme d’une réunion Skype», explique Arnold Graf, gestionnaire de groupes de produits à Bina.

Des débouchés assurés

Un petit nombre d’entreprises se partageaient alors la région fruitière du Yucatán. La mission d’Arnold Graf consistait à dénicher en Amérique latine une usine indépendante qui pourrait être progressivement convertie aux normes suisses. Il en avait déjà examiné des douzaines lorsqu’il est tombé sur la fabrique de jus de fruits désaffectée Arpen, dans la commune d’Akil. Le moment était favorable: Arturo Peniche Solís, investisseur mexicain, voyait dans la proposition de Migros l’opportunité de donner corps à sa vision – celle d’une entreprise de commerce équitable, qui ferait participer aux bénéfices les producteurs, garantirait des prix minimaux et contribuerait surtout à enrayer l’exode rural. En effet, de nombreux propriétaires terriens de la nouvelle génération, découragés, ont déjà vendu leurs terrains à de grands entrepreneurs avant de s’établir en ville. Pour Arturo Peniche Solís et Arnold Graf, cela a été le début d’un partenariat profitable aux deux parties, reposant sur l’engagement de Bina à acheter systématiquement l’ensemble des récoltes.

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À bord de leurs camions, les agriculteurs viennent de 50 kilomètres à la ronde pour livrer leurs agrumes à la fabrique de jus de fruits d’Akil.

Rencontre avec la coopérative

Aujourd’hui, le Mexicain de 45 ans et le Suisse de 51 ans se rencontrent de nouveau. Arnold Graf passe en coup de vent durant la récolte. La barrière vient justement de se lever pour laisser passer les camions qui apportent à l’usine les agrumes cultivés dans un rayon de 50 kilomètres. Des hommes en descendent. S’ils ne sont guère bavards, ils sont toujours disposés à offrir un sourire amical. Dans le registre des livraisons, certains signent d’une empreinte de pouce, ne sachant ni lire ni écrire. Mille deux cents de ces paysans sont membres de la coopérative Union de Eijdos; leurs familles exploitent les champs, la plupart du temps sans faire appel à une main-d’oeuvre extérieure. C’est aujourd’hui qu’a lieu la réunion pour laquelle le représentant de Bina a fait le voyage depuis la Suisse. Il s’agit de mener une discussion informelle avec le conseil d’administration, composé de représentants élus par les agriculteurs, afin de déterminer si le partenariat se poursuivra cette année encore. Bina réitère ses engagements à long terme. Les délégués s’entretiennent en maya yucatèque, une langue que peu de personnes comprennent en dehors de leur communauté. L’image qu’ils se font de la Suisse est assez vague: «Ce doit être un beau pays, dont les habitants ont à coeur de protéger l’environnement et exigent des produits de qualité», traduit un des représentants. Les paysans sourient lorsqu’ils entendent que, là-bas aussi, il y a des agriculteurs. Voilà un point commun sur lequel bâtir ensemble! Les membres du conseil d’administration hochent la tête. Cette année aussi, on trouvera du pamplemousse rose dans les rayons de Migros. Un processus totalement transparent permet de reconstituer le trajet du jus depuis les magasins de la coopérative jusqu’aux plantations du Yucatán, et même jusqu’aux producteurs. L’un d’entre eux se nomme Leonardo Pacho. Depuis nonante ans, sa famille cultive les terres qu’elle possède près d’Oxkutzcab.

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Livraison des pamplemousses à Akil.

Biodiversité et tradition

Arnold Graf avance à pas prudents pour éviter les serpents. Conscient de l’influence de Pacho, 84 ans, il espère le rallier à sa cause. Cet ancien professeur de biologie a dispensé des cours à nombre d’agriculteurs. «Mais il existe des choses qu’on ne peut pas apprendre à l’école», observe l’ancien. La biodiversité traditionnelle des Mayas, par exemple. Ce n’est pas dans les manuels scolaires que notre homme y a été initié, mais au travers des récits transmis par ses ancêtres. Des siècles durant, la culture maya a été réprimée. Aujourd’hui, une nouvelle génération apprend à appliquer ses principes et se passe de pesticides et d’herbicides. Les traditions ancestrales ont de l’avenir et elles correspondent exactement aux critères de production de Bina et à ceux du label Fairtrade Max Havelaar.

Un engagement qui porte des fruits

Les Suisses ne se contentent pas d’acheter les pamplemousses. Ils contribuent également à améliorer les conditions de travail, en imposant par exemple un salaire minimum garanti par contrat. L’investisseur Arturo Peniche Solís y a veillé et envisage désormais de faire de l’«Union» un institut financier. Ainsi, en cas de mauvaises récoltes, les agriculteurs ne seraient plus obligés d’emprunter à des usuriers de la ville. «Certains profiteurs exploitent les nombreuses personnes analphabètes», déplore-t-il. En attendant, un progrès notable a été enregistré sous la forme d’une pépinière de 48 hectares, affectueusement surnommée la «nursery». C’est le soutien des Suisses qui a donné le courage d’investir dans un tel projet. Le gouvernement mexicain a également financé la construction d’une serre à hauteur de 10 millions de pesos, soit un demi-million de francs suisses. Ici, vingt collaborateurs régulent une pluie et un soleil artificiels pour faire pousser chaque année un million de petits citronniers. Les arbustes sont ensuite mis à la disposition des agriculteurs. Ceux-ci ne sont pas encore tous prêts à remplacer leurs vieux arbres par les jeunes pousses de la «nursery». Ils ont besoin de temps pour se laisser convaincre. Or, le temps semble abonder dans cette région du monde. La collaboration entre Bischofszell et Akil est une entreprise au long cours. Cela tombe bien, Arnold Graf est un ancien sportif de fond. Et s’il y a une chose que l’ex-triathlète a compris, c’est que son travail au Mexique s’apparente à un marathon.

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Arturo Peniche Solís explique à Arnold Graf le fonctionnement de la trieuse, également compatible avec les citrons, les oranges et les mandarines.

Fairtrade Max Havelaar

Les produits labellisés Fairtrade Max Havelaar permettent à des populations de pays en développement de bénéficier d’un revenu plus élevé et de meilleures conditions de travail. Le label renforce la position des producteurs en fixant des normes sociales et écologiques claires, en garantissant des tarifs stables ainsique des primes et en offrant un conseil sur place. Migros est partenaire de Fairtrade Max Havelaar depuis sa création en 1992.

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