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La migration dessinée pour les enfants

Dans «Partir», l’illustratrice vaudoise Amélie Buri raconte l’histoire de Rayan, un petit garçon qui a fui l’Irak avec ses parents. Un récit bien réel, dont elle traduit la douleur et la peur par le biais de peintures intenses.

Texte Véronique Kipfer
Photos François Wavre
Date
Amélie Burri

Le petit Rayan, est le personnage principal du livre d’Amélie Burri ­inspirée d’une ­histoire vraie.

Une petite silhouette solitaire qui tient fort son doudou vert. Et face à elle, l’infini d’une mer menaçante. C’est la couverture du nouveau livre de l’illustratrice vaudoise Amélie Buri, sobrement intitulé «Partir». L’ouvrage est illustré de dessins sombres et expressifs, qui tranchent avec les joyeuses illustrations que publie habituellement la jeune femme. «J’ai toujours été un peu polymorphe dans mes dessins, explique-t-elle avec une petite grimace. Cela m’a complexée à une époque, parce que je voulais avoir une «patte» reconnaissable. Or, on reconnaît mes personnages, mais je change sans cesse de style, car je suis curieuse et j’aime expérimenter de nouvelles techniques. Finalement, je me suis dit que tout ce que je faisais me représentait malgré tout, et c’est comme ça!» 

Pour cet ouvrage particulier, elle a ainsi choisi d’exprimer la violence, la peur et le désespoir au travers de peintures à la gouache et acrylique. «Je ne voulais pas être dépendante de l’ordinateur et je désirais obtenir un résultat organique, moins propre que ce que je fais habituellement.» 

Sensibiliser dès le plus jeune âge

Ce livre, elle rêvait déjà de le faire depuis de nombreuses années. «J’ai toujours été sensible à la thématique de la ­migration, entre autres parce que j’étais infirmière avant d’être illustratrice. J’ai ainsi travaillé un certain temps dans une ONG au Mexique, où c’était moi qui étais l’étrangère et où j’ai eu ­besoin d’aide pour m’intégrer.» 

Estimant essentiel que les enfants soient eux aussi sensibilisés aux difficultés vécues par les migrants – «On doit pouvoir accueillir ces gens le mieux ­possible, et c’est bien de le comprendre ­depuis tout petit» –, elle a choisi de faire cet ouvrage pour eux. «Le texte est minimaliste, car mon but est que les parents accompagnent leur enfant dans sa lecture. Tous les livres que j’ai faits jusqu’à présent tendent à cela: ce ne sont pas juste des histoires à lire le soir, mais des récits qui permettent d’apprendre des choses et servent de base de discussion.» 

Le personnage principal de l’histoire, Rayan, est un petit garçon. Un enfant bien réel, qu’Amélie Buri a rencontré avec ses parents.«J’ai eu beaucoup de chance, raconte-t-elle avec enthousiasme. Un ami m’avait proposé d’aller écouter un témoignage de l’ancien conseiller d’État Pascal Corminbœuf qui, avec son épouse, avait accueilli une famille kurde. J’ai alors immédiatement demandé à ce dernier si je pouvais la rencontrer.»

Un témoignage terriblement poignant

La famille accepte et Amélie Buri s’empresse d’aller la voir, ravie de pouvoir ­obtenir ainsi de la matière pour son livre. «Je suis arrivée avec mon dictaphone, je pensais simplement les enregistrer deux heures. Je me considérais pourtant comme sensibilisée au sujet, mais je n’avais pas du tout réalisé dans quoi je les entraînais: en réalité, je les ai poussés à revivre tout ce qu’ils avaient subi les mois précédents.» 

Car le couple et son fils d’un an et demi ont enduré l’indescriptible, et pleurent en le racontant. «Ils avaient une famille, des amis, un métier, ­souligne l’illustratrice avec émotion. Certes, ils ont dû fuir l’Irak à cause de la guerre, mais je n’avais jamais vraiment envisagé le fait qu’ils ­devaient faire le deuil de leur vie d’avant et le fait qu’ils ont dû quitter toute leur vie en quinze jours.»

Après avoir témoigné, la famille n’a qu’une demande: que le prénom de Rayan apparaisse dans l’ouvrage. Amélie Buri se met alors au travail, emporte ses idées dans ses bagages lors de deux stages d’illustration en Suède – «au début, j’avais envie d’être fidèle à ce qui m’avait été raconté. Les stages m’ont aidée à détricoter le récit pour le rendre plus universel» –, puis s’isole un mois dans les montagnes tessinoises pour terminer son livre. 

Elle a ainsi l’idée d’utiliser comme fil rouge un objet de transition, la ­couverture-doudou du petit garçon, pour raconter les moments les plus douloureux, comme la traversée ­durant laquelle la famille a manqué se noyer. Et «vieillit» un peu Rayan – il a 3 ou 4 ans dans le livre –, de manière à ce que les enfants puissent mieux s’identifier à lui. Elle décide aussi de terminer son ouvrage à la fin du périple, sans aborder la question de l’accueil et de l’intégration, à laquelle elle invite chaque lecteur à inventer sa propre réponse. 

Mais quelle est la suite réelle de l’histoire? «Rayan a maintenant 6 ans, il est bien intégré dans sa classe. Ses parents sont en train de se créer une nouvelle vie.» Lorsque le livre est sorti, ces derniers ont hésité à le lui montrer, puis ont décidé de le faire. «Il ­paraît qu’il a été fier de voir son nom, puis qu’il a feuilleté le livre plusieurs fois attentivement. Il a posé des ­questions, a soudain fondu en larmes. Il a ensuite déclaré qu’il n’aimait pas les images, surtout celles de la mer, mais que c’était une bonne histoire. Et il m’a ensuite fait un dessin plein de couleurs pour me remercier.»

Référence: «Partir: le voyage de Rayan et son doudou», ­Amélie Buri, Coédition OPEC - Ouverture Olivétan, 2020.

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