Pour le professeur Olivier Maulini, l’école en présentiel n’est pas près de disparaître.
Quel bilan tirez-vous de l’école au temps du confinement?
Que l’enseignement à domicile a tendance à creuser les inégalités entre les élèves. Même s’il s’agissait pour l’école de consolider les apprentissages existants, on n’a pas pu éviter que certaines familles soient mieux équipées
et plus compétentes que d’autres.
Cette rentrée sera-t-elle celle de tous les défis, après cinq mois d’absence?
En éducation, il est plutôt mauvais de dramatiser, cela crée les remous qu’on prophétise… Cela dit, le phénomène
est connu: les deux mois de vacances d’été ont un impact sur l’apprentissage. Certains élèves reviennent bien préparés, ils ont grandi, alors que d’autres ont beaucoup oublié et recommencent avec moins de ressources. Les enseignants pourront se retrouver face à ce phénomène amplifié.
Est-ce que la Suisse a commis une erreur en ne faisant pas réviser les élèves pendant les vacances d’été?
En France, le ministre de l’Éducation a décrété des vacances apprenantes, mais la Suisse n’a pas la même culture. Elle croit davantage aux vertus de l’apprentissage par l’immersion et l’expérience… La population suisse fait confiance aux institutions: peu de familles auraient aimé qu’on leur confie le rôle de l’école.
Pensez-vous que cette période expérimentale va amener des changements profonds dans l’enseignement?
L’enseignement est une pratique, dont le génie ressemble à celui du bricoleur. Dès qu’un professionnel trouve quelque chose qui fonctionne bien, il le garde. Les enseignants ont fait des expériences pendant cette période. Les partisans de l’intégration des technologies dans l’enseignement peuvent se frotter les mains: le numérique a davantage progressé grâce au Covid qu’en des décennies de militance! Les savoirs enseignés peuvent bouger aussi… Cela dit, la façon dont l’école enseigne est très résistante. Elle a les reins suffisamment solides pour rester sur sa ligne. Je ne crois pas à une révolution pédagogique sous l’impact du Covid.
L’enseignement à distance, avec les visioconférences à la carte par exemple, n’a-t-il pas des avantages?
La flexibilité et la liberté permettent à l’élève de prendre le pouvoir sur la parole du maître, mais ne profitent qu’à ceux qui ont cette compétence. Seule la présence des élèves permet à l’enseignant de décoder les besoins de chacun et de faire des arbitrages. Cela confirme le fait que réunir des enfants ou des jeunes en un lieu structuré par un enseignant, où ils vont apprendre ensemble, est quelque chose de fécond.
L’école en présentiel n’est donc pas une forme archaïque de l’apprentissage…
Bien sûr, les outils techniques permettent d’organiser de la coprésence à l’écran. Mais tous les élèves ne se connectent pas ou ne sont pas dans la même disposition d’esprit. Reconstituer la classe dans sa chambre à coucher, avec ses contraintes symboliques, n’est pas une formalité. Si nos ancêtres ont inventé ces bâtiments avec des grilles en fer forgé, toute cette solennité de l’école, c’était pour transformer des coureurs des rues en citoyens civilisés. Cela reste vrai aujourd’hui.
Les demi-classes sont une autre expérience qui semble avoir bien fonctionné. Pourquoi ne pas la reconduire?
Bien sûr, les demi-groupes, c’est souvent mieux, mais c’est deux fois plus cher à financer! L’instituteur, il y a un siècle, incarnait une norme, à laquelle les élèves devaient se conformer pour grandir. Aujourd’hui, le citoyen ordinaire attend de l’État un service personnalisé. Réduire les effectifs par deux dans les écoles, tout le monde serait d’accord, à part peut-être les parents eux-mêmes en tant que contribuables…
Que répondez-vous aux parents qui craignent de nombreux échecs à la rentrée?
Le risque est faible. Les taux d’échec ont tendance à la stabilité. La recherche montre que les enseignants fixent la barre en fonction ce qu’ils ont pu traiter. Ils en tiennent compte pour statuer.