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Livraison à domicile

Les courses en un clic

Après Migros Genève, Migros Vaud a commencé à travailler avec Smood, la société de livraison de nourriture à domicile. Et ce sera bientôt au tour de Migros Valais. Pour son fondateur Marc Aeschlimann, ce partenariat avec Migros relève du bon sens et d’une saine logique économique.

Texte Laurent Nicolet
Photos Niels Ackermann
Date
Online NAK_3581

Marc Aeschlimann devant un des premiers véhicules utilisés pour la livraison des repas.

Marc Aeschlimann, comment est né Smood?

Début 2012, chez un ami à ­Paris, nous décidons de nous faire livrer un repas. À lépoque, ça voulait dire Dominos Pizza ou Pizza Hut. Je navais pas envie de manger ça, alors cet ami m’a montré un catalogue avec des menus de ­restaurants livrés à domicile. Je me suis fait ­apporter une choucroute de chez Lipp pour ­tenter lexpérience. J’ai trouvé ça génial, c’est arrivé à lheure, c’était chaud, le livreur présentait bien. Je me suis dit que ça pouvait marcher à Genève vu le nombre de restaurants et le genre de ­population. Lentreprise va fêter ses huit ans cette année, puisque la première commande a été passée à Genève le 15 décembre 2012.

Cela a été un succès tout de suite?

J’ai fondé Smood avec mes petites économies alors que jétais encore étudiant. Dès le début, les livreurs ont été engagés comme des salariés. Pendant une année, on a essayé de voir si notre formule fonctionnait. Dans le contexte de l’époque où les grandes sociétés internationales comme Uber Eats n’existaient pas, l’idée pouvait paraître incongrue. Mon entourage essayait de me décourager: livrer des plats de restaurants à domicile pour le même prix qu’au ­restaurant, ça ne marchera jamais. Javais un professeur à luniversité qui disait toujours: «Plus une idée est bonne, plus elle sera critiquée.» On a eu effectivement une superbe ­réaction de la population, avec une demande qui doublait tous les mois, preuve que ce service correspondait à un besoin. La deuxième année, nous avons commencé à travailler à Lausanne avec un succès similaire. On s’est dit que nous étions sur la bonne voie.

 

Comment Smood s’est-il ensuite développé au niveau national?

En 2014, nous sommes allés voir à Zurich où il a fallu repartir de zéro, reprendre toutes les bases de la communication, dans une culture nouvelle. Aujourd’hui, nous sommes présents dans dix-huit villes. Rapidement, nous avons compris que la technologie serait au cœur de cette activité au départ très manuelle on prenait les commandes par téléphone. On a lancé notre première application en 2016 et ça a été le gros boom. Depuis maintenant presque quatre ans, nous connaissons entre 60 et 100% de croissance annuelle. Principalement désormais à travers l’application. Je pense que dans trois ans, ce sera 100%.

 

Comment a débuté le partenariat avec Migros Genève?

Philippe Echenard, le directeur général, a ­entendu parler de Smood dans la presse. Nous nous sommes rencontrés, avons échangé des idées, avons pensé que si les restaurants à domicile, cela marchait, pourquoi pas aussi les Migros à domicile. Cela nous a même paru plus sensé: le restaurant, on va y chercher une certaine expérience, ce qui n’est pas forcément le cas quand on se rend dans une Migros. En plus, il faut transporter ses courses, cest lourd et tout le monde ne dispose pas forcément d’un ascenseur chez lui.

 

Quelle différence avec «LeShop.ch»?

«LeShop» livre le lendemain, nous le jour même en 45 minutes. Il faut nous voir comme un aide de cuisine. Vous êtes par exemple en train de préparer à manger, il vous manque du beurre. Vous commandez votre plaque, vous continuez la préparation de votre repas et bientôt un livreur vous amène votre beurre. Ensuite, il y a l’aspect écologique. Dans les grandes villes, on habite forcément à moins de kilomètres dune Migros. «LeShop» vous livre des produits Migros à partir d’un entrepôt central, nous d’une Migros située à moins de kilomètres de chez vous, avec donc le côté fraîcheur et rapidité. La Migros du quartier, qui nourrit les gens de son quartier, avec des produits locaux, ça a du sens.

 

Ce partenariat avec Migros est-il appelé à connaître des développements?

Les débuts sont très encourageants. Nous avons commencé à travailler avec Migros Vaud ainsi que le Tessin et bientôt Migros Valais, où lon va tester quelque chose de nouveau, avec, en plus de la livraison, un système de drive-in, pour les gens par exemple qui se rendent dans les stations. Vous partez de Genève, la personne qui ne conduit pas prend son application, fait ses courses qui seront collectées au passage à la Migros de Sion, avant de monter à Crans-Montana.

 

Ce système ne fonctionne-t-il que pendant les heures douverture des magasins?

Pour le pick-up oui, mais pour la livraison à domicile, nous sommes opérationnels jusqu’à 21 h 30-21 h 45. Cest plutôt pratique pour une bonne partie de la population qui travaille désormais plus tard. Moi-même jen profite. Avant, jachetais ma plaque de beurre en rentrant chez moi à 22 heures dans la petite supérette du quartier, je la payais quatre fois plus cher, mais cétait la seule possibilité. ­Aujourdhui, je fais mes courses en sortant du travail, dans le bus, dans le train et quand jarrive chez moi, tout est devant ma porte, ça change tout. Nous sommes également ouverts le dimanche puisque nous avons la chance à Genève davoir une Migros à laéroport et une autre à la gare qui ont les autorisations pour cela.

 

Un reproche que certains restaurateurs vous font consiste à dire que travailler avec Migros, cest leur faire concurrence…

Je pense exactement linverse. Un client qui commande une entrecôte déjà prête avec ses frites, c’est qu’il n’a pas envie de cuisiner. Lorsque c’est le cas, quand il veut créer quelque chose, il commandera la même entrecôte à Migros. Il aura peut-être entendu parler de cette possibilité parce quil aura utilisé lapplication pour commander un repas chez Smood. Cela marche dans les deux sens: celui qui aura dabord utilisé lapplication pour commander à Migros découvrira ainsi la possibilité de commander également au restaurant. On avait déjà reproché au patron d’Uber d’avoir ensuite créé Uber Eats, qui lui faisait perdre des clients, les gens n’ayant plus besoin de taxi pour aller au restaurant. Il avait répondu que cétait au contraire parfait, parce que ­binaire: soit vous vous déplacez, soit vous ne vous déplacez pas, dans les deux cas vous êtes client.

 

Peut-on dire que la crise sanitaire a largement profité à Smood?

Cela a évidemment été un catalyseur, une ­accélération des changements sociaux qui devaient de toute façon se produire. Avec la crise, les gens se sont mis à commander en ligne, mais ils s’y seraient mis de toute façon dans les cinq ans à venir. Le même phénomène a été constaté avec le télétravail. Concernant la livraison à domicile, nous avons gagné en tout cas deux à trois années de développement. 

 

Quels sont les types de restaurants qui vont venir volontiers chez vous et ceux qui se montrent très réticents?

Je dirais que presque tous les restaurants peuvent livrer à domicile, à lexception peut-être de ceux à fondue. Les plus évidents sont les fast-foods, mais ce nest pas notre réel ­objectif. Nous avons démontré quon pouvait démocratiser la livraison même pour des restaurants étoilés. Nous avons par exemple un partenariat avec Philippe Chevrier. Il nest pas toujours facile de convaincre un chef qui a passé sa vie et sa passion à créer des plats et accueillir des clients d’opter désormais pour  la barquette en plastique livrée dans un sac à dos. Certains ne voudront même pas en ­entendre parler, quand dautres seront prêts à réinventer leur façon de travailler.

Avez-vous déjà eu des propositions de ­rachat, par exemple de la part d’Uber Eats?

Nous avons eu des propositions, mais pas dUber Eats. Mais nous avons fait un choix différent: celui de nous associer avec l’une des trois plus grosses entreprises de Suisse. Migros fait partie du paysage. Philippe Echenard, aujourdhui pour nous, cest une oreille attentive, et cela est appréciable pour moi qui suis un ­entrepreneur dont la seule motivation est davoir des idées et de les mettre en pratique.

Le succès de la livraison à domicile nest-il pas le signe d’une perte de lart de vivre que pouvait par exemple représenter le fait daller au restaurant?

Les gens ne vont pas cesser daller au restaurant, ils vont apprendre à le faire différemment. Est-ce un réel plaisir quand vous avez 45 minutes de pause de midi, qu’il pleut et qu’il fait froid, daller faire la queue dans le bistrot du coin pour manger le même plat du jour que les autres jours de la semaine? Le delivery peut devenir une expérience agréable parce que jai la possibilité de me faire livrer nimporte quoi en restant dans mon bureau, sans avoir à me soucier de la météo et surtout sans perdre du temps. Des statistiques réalisées à Genève ont montré qu’un repas de midi prenait entre 1 h 30 et 1 h 45, entre le moment où l’on quitte son poste et le retour au bureau. Se faire livrer la nourriture peut vous faire ­gagner une heure d’activité et vous permettre donc de finir plus tôt.  

 

Mais le plus gros des livraisons de repas à domicile a lieu le soir chez les gens

Le soir, on ira peut-être moins au restaurant mais de façon plus qualitative. On pouvait y aller simplement parce que lon avait faim, pas forcément pour faire une expérience ou rencontrer des gens. C’est différent dune sortie organisée avec sa femme et ses amis, qui na pas lieu tous les soirs. Mais on a faim tous les soirs et de moins en moins de temps pour cuisiner ou faire ses courses, de moins en moins de savoir-faire aussi, surtout chez les jeunes générations. Finalement, nous répondons à une évolution de la société plus que nous ne la transformons. La preuve: nos partenaires ­restaurateurs nous disent que travailler avec nous amène du chiffre daffaires additionnel. Cela signifie que l’on va vraiment chercher une catégorie de personnes qui, de toute ­façon, ne seraient pas venues au restaurant.

 

Des restaurateurs disent pourtant que lintégralité de leurs marges est mangée par ce que vous leur facturez comme service… 

Nous travaillons aujourd’hui avec 1600 restaurants partenaires. Depuis notre création, nous en avons qui sont partis parce que ça ne fonctionnait pas avec leur type de restaurant, mais aucun parce quil ne gagnait pas dargent. Et puis, cela dépend comment on calcule la marge en livraison. On ne peut pas imputer
la charge du loyer ou de salaire du cuisinier sur les plats livrés puisque le fait de livrer ne rend pas le loyer plus cher et que cest le même cuisinier qui travaille et qui ne sera pas payé davantage. Certains restaurants font 50 000, 60 000 voire 100 000 francs de chiffre daffaires de livraison par mois avec nous. Cela a un coût.

 

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