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Education sexuelle

«Il faut parler du plaisir et du consentement»

Presque tout le monde le fait, mais personne n’en parle. C’est la conclusion que tire le Réseau Jeunes de Santé sexuelle suisse au sujet de la masturbation. Pour sa coprésidente, Noemi Grütter, il est temps de lever le voile sur cette pratique.

Texte Nadia Barth
Photos François Wavre/Lundi13
Date
Masturbation

Noemi Grütter, le réseau jeunes de Santé sexuelle suisse a lancé en octobre une campagne vidéo de sensibilisation intitulée «La masturbation – est-ce normal?» Je vous pose justement la question…

La réponse est un grand oui, c’est normal! La masturbation fait partie de la vie quotidienne et concerne tout le monde, qu’on soit en couple, célibataire, jeune ou moins jeune, femme, homme, non-binaire… Nous pouvons aussi préciser qu’il n’y a pas de règles en la matière: la fréquence de cette pratique est
variable en fonction des personnes, des périodes de la vie ou encore de la libido de chacun et de chacune. À noter qu’on ne cherche pas à mettre de pression à ce sujet, comme s’il fallait absolument que tout le monde se masturbe. Certaines personnes ne ressentent pas de désir ou sont abstinentes – car elles sont asexuelles par exemple – et c’est aussi normal. 

 

En 2020, la masturbation est-elle toujours taboue?

Oui, il y a un tabou autour du concept de plaisir et de la sexualité en général encore aujourd’hui. Grâce aux consultations de Santé sexuelle qui existent dans toute la Suisse et aux cours d’éducation sexuelle, nous constatons aussi que la masturbation est taboue. Il s’agit d’un sujet qui engendre une pression psychique, notamment chez les jeunes. Beaucoup d’entre eux se sentent mal à l’aise avec cela, ont honte de dire qu’ils se masturbent et croient parfois que c’est dangereux. 

 

Dangereux?

Oui, il y a beaucoup de «fake news», ou des «mythes» si vous préférez, qui circulent dans notre société sur la masturbation. Par exemple, on dit qu’elle rend sourd ou aveugle, que sa pratique signifie que nous n’avons pas de sexualité épanouie ou encore que le couple serait malheureux. Bien sûr, tout cela est faux. Ces mythes sont même toxiques pour la jeunesse puisqu’ils mettent l’accent sur les aspects négatifs. Or, tout le monde a droit à une sexualité et droit au plaisir. C’est super important que les jeunes entendent ce message et sachent que leur corps leur appartient. Avec cette campagne, on veut donc rappeler que la masturbation est une pratique saine. 

 

Justement, quels sont les bienfaits de la masturbation?

Ils sont multiples. On sait que les hormones du bonheur – les endorphines – sont libérées durant l’acte, ce qui apporte un sentiment de bien-être. Cette pratique participe aussi à l’épanouissement de sa propre sexualité: en découvrant ce que l’on aime ou pas, on peut ensuite avoir des relations plus égalitaires et satisfaisantes. 

 

Y a-t-il un âge à partir duquel la masturbation est considérée comme normale? 

Non, il n’y a pas d’âge. Nous sommes par nature des êtres sexués. C’est donc normal que, dès le plus jeune âge, on commence à jouer avec ses parties génitales par exemple. Ce qui est important, c’est d’accompagner les enfants. Il faudrait par exemple leur expliquer qu’il s’agit d’un acte intime que l’on fait dans une sphère privée, avec respect et bienveillance pour soi-même. Cet accompagnement ne peut néanmoins pas toujours venir des parents. Parfois, il n’y a pas la possibilité de parler de masturbation ou plus généralement de sexualité pour des raisons religieuses ou familiales. C’est pour cela que les cours d’éducation sexuelle sont importants. 

 

Ce tabou est-il néanmoins vrai de la même façon pour les deux sexes?

Du côté des hommes, le tabou est moins fort bien que l’on constate qu’il s’agisse d’un sujet davantage évoqué sous la forme de blagues plutôt qu’honnêtement, ce qui n’est pas très sain. Ensuite, dans notre imaginaire collectif, on considère la masturbation masculine comme normale, comme rattachée à des besoins ou des pulsions, contrairement à la masturbation féminine. Car celles qui ont du plaisir et qui se touchent sont parfois encore considérées comme plutôt perverses ou hyper-sexuelles. 

 

Pourquoi?

Depuis des siècles, le corps des femmes est opprimé, réglementé. Je pense par exemple à l’avortement. Le fait que les femmes puissent contrôler leur corps est d’ailleurs encore dérangeant, surtout pour les forces conser-vatrices et fondamentalistes. Pourtant, il est nécessaire à leur émancipation. C’est pour cela que cette campagne rappelle aux femmes l’importance de se découvrir, en explorant leur anatomie. Cette réappropriation de leur corps, cette façon de se connaître sur le bout des doigts est un acte d’auto-détermination sexuelle et je dirais même, d’une certaine façon, un acte de rébellion contre le patriarcat.

 

Le mouvement féministe, la première modélisation en 3D du clitoris en 2016… N’y a-t-il pas déjà un processus de libération du corps des femmes en cours…

Oui, on sent un changement et je pense que le travail du mouvement féministe, avec par exemple des clitoris affichés un peu partout durant la grève des femmes du 14 juin, permet de faire évoluer les mentalités. Néanmoins, ce mouvement ne réussit pas à transmettre le message à tout le monde parce qu’il y a des familles où on n’en parle pas, avec un déni complet du féminisme.

Masturbation

Pourquoi avoir choisi de lancer une campagne autour de la masturbation
maintenant?

D’abord, parce que je pense que, dans le contexte actuel, il est important d’avoir des messages positifs à faire passer. Ensuite, parce que le sujet est encore source de souffrance. C’est pour cela que notre réseau de jeunes – entre 17 et 25 ans – a choisi de mettre l’accent sur cette pratique. 

 

Dans le contexte de la pandémie, les gens sont de plus en plus seuls, coupés des autres et invités à rester chez eux. N’était-ce pas aussi le bon moment pour parler de plaisirs solitaires?

C’est en effet le moment idéal pour mettre le sujet sur la table: les gens ont davantage de temps et, justement, la masturbation c’est aussi une question de temps, de disponibilité pour prendre soin de soi. La pandémie est une bonne occasion de prendre du recul et de s’interroger sur nos modes de vie.

 

L’un des objectifs de cette campagne est-il d’introduire systématiquement la question de la masturbation dans les cours d’éducation sexuelle partout en Suisse?

Oui, il faut savoir qu’actuellement l’éducation sexuelle est enseignée de façon très hétérogène chez nous: dans chaque canton, école, classes, c’est différent. Dans plusieurs cantons, il n’existe pas de règles qui édictent clairement le contenu des cours. Il y a d’ailleurs une grande différence entre les cantons alémaniques et latins. Dans cette dernière région, il y a beaucoup de spécialistes qui vont dans les classes pour donner ces cours contrairement à la Suisse alémanique. Nous, chez Santé sexuelle suisse, nous recommandons vivement aux écoles de travailler avec des éducatrices et éducateurs en santé sexuelle, car les enfants et les jeunes ont besoin de faits scientifiques et non d’opinions. 

 

C’est-à-dire…

Les personnes formées pour donner des cours d’éducation sexuelle ont une distance assez grande pour parler de sujets comme la masturbation. Ce n’est donc pas pareil d’aborder la question avec ces spécialistes qu’avec son ou sa prof de 65 ans qui a peut-être encore beaucoup d’idées reçues. En Suisse, les cours d’éducation sexuelle sont aussi très focalisés sur les risques, les maladies sexuellement transmissibles, la contraception, soit les aspects négatifs – ce qui est bien sûr important – mais moins sur les choses positives comme le plaisir ou encore le consentement. On plaide donc pour une éducation sexuelle basée sur les droits humains, qui mentionnent que toute personne a droit à une vie sexuelle, aux informations liées à elle et qu’elle est libre de vivre son identité de genre et son orientation sexuelle.

 

Concrètement, quels sont les obstacles que vous rencontrez avec l’introduction de tels cours?

C’est vraiment l’esprit conservateur et certains partis de droite qui font obstacle. On constate que tous les sujets qui ont trait à l’émancipation des femmes, de leur corps, font peur. Ils n’ont pas envie que les jeunes aient ces informations, car ils craignent qu’ils soient alors hyper-sexualisés et que cela les incite à avoir des relations sexuelles. Mais c’est faux. Ces informations permettent plutôt d’avoir des relations sexuelles beaucoup plus saines, protégées et respectueuses. De nombreuses études ont déjà démontré que des cours d’éducation sexuelle plus complets ont en fait des effets positifs dans la société et sur l’égalité femme-homme

Noemi Grütter

Bio express

1995 Naissance à Dallenwil (NW).
2016 – 2018 Représentante de la jeunesse suisse auprès de l’ONU. 
2018 – 2019 Experte en droits des femmes chez Amnesty International.
Dès 2018 Coprésidente de Santé sexuelle suisse, l’organisation faîtière pour les droits sexuels et reproductifs en Suisse.
Dès 2019 Master en droits humains et ­action humanitaire à Sciences Po Paris.
Dès 2020 Assistante de plaidoyer pour l’ONG des droits des femmes Equipop.

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