Y a-t-il d’autres éléments qui provoquent en revanche une baisse de notre attention?
On est dans une société qui insiste beaucoup sur la performance et les capacités, et on subit sans cesse l’injonction d’être capable de gérer notre attention dans tous les sens. Ce qui est extrêmement néfaste. Il existe en effet divers types d’attention: celle de routine, dite «flottante», qui permet d’effectuer une tâche facile et connue sans trop y réfléchir, et l’attention cognitive, qui permet d’apprendre et de retenir quelque chose. On peut certes mettre en place deux attentions en même temps, mais de nature différente: on ne peut pas lire deux livres au même moment, par exemple. Ce fantasme du multitâche est donc complètement faux. Mais on continue à croire qu’on peut tout faire en même temps, et comme on est pris dans un flux, on ne se rend pas compte à quel point c’est mauvais pour nous. Par ailleurs, des études ont montré qu’il faut entre 45 secondes et une minute pour se reconcentrer. Donc si vous avez cinquante ou soixante mails ou sollicitations différentes dans la journée, vous perdez une heure à tenter de vous reconcentrer. C’est beaucoup!
Être attentif serait-ce donc un choix qu’on effectue en toute conscience?
Il existe l’attention exogène, qui est attirée par les stimuli extérieurs, et l’endogène, qui vient de soi. Cette dernière est alors effectivement un geste mental et un choix. Ce qui est très important de réaliser, c’est que cette attention ne peut s’exercer que dans le moment présent. On ne peut pas être attentif dans le passé ou dans l’avenir. Or, le gros problème de notre société, c’est la difficulté à être bien présent dans l’ici et le maintenant. Car c’est un peu la «malédiction» de notre esprit: on peut voyager dans le temps et l’espace en pensée, on peut se projeter dans nos souvenirs et dans le futur, et complètement zapper le moment présent.
L’arrivée du coronavirus ne semble pas avoir amélioré les choses…
C’est vrai qu’on ne se rend pas compte à quel point on suroccupe tout le temps notre esprit: avec toutes les inquiétudes réelles ou qu’on se crée. On a un bavardage continuel dans notre tête, des pensées parasites, une «petite voix» qui bavarde continuellement et qui prend tout l’espace. L’esprit est un outil incroyable. Mais même si vous avez un couteau suisse à six, dix, quinze lames, vous n’allez pas l’utiliser tout le temps pour tout. Il y a des moments où vous n’en avez pas besoin.
Mais alors, y a-t-il un moyen d’exercer et d’améliorer notre capacité d’attention?
Oui, en se rendant compte que le moment présent est lié au corps. Notre civilisation occidentale a tendance à trop insister sur la séparation entre le corps et l’esprit et on oublie qu’on est un tout indissociable, corps et esprit confondus. Vouloir mieux contrôler notre esprit par l’esprit, c’est comme rajouter une bûche dans un feu pour l’éteindre: on «s’utilise» mal. Mais il est nécessaire de réaliser que c’est notre corps et notre respiration qui nous insèrent dans le temps présent. Si on veut développer notre attention, c’est seulement par le respect de cette connaissance qu’on peut le faire.
Qu’est-ce que cela signifie, concrètement?
Il y a un exercice tout simple, que chacun peut faire, c’est d’être attentif lorsqu’on ouvre et ferme une porte, un geste qu’on effectue fréquemment dans la journée. Le fait de se concentrer sur l’ouverture et la fermeture oblige à être conscient de ce qu’on fait à l’instant présent. C’est un petit exercice basique, mais qui est très efficace, et qu’on peut ensuite appliquer à d’autres actions: allumer l’ordinateur, par exemple. Cette manière d’agir en conscience a l’efficacité de la goutte d’eau qui tombe durant des jours et des jours sur un rocher, de manière continue… Elle finit par être intégrée toujours davantage dans notre quotidien, et devient une sorte de réflexe.
Et que peuvent faire les élèves, de leur côté, pour mieux se concentrer?
Lors des devoirs, par exemple, il faut éliminer toutes les sollicitations extérieures et créer si possible un environnement de calme sensoriel. Puis trouver une position confortable, ni avachie ni trop tendue.
Et en classe?
Il y a des programmes spécifiques destinés aux écoles qui sont développés maintenant, notamment en France et un peu en Suisse, sur ce qu’on appelle la pleine conscience. On y invite les élèves au travers de différents exercices, essentiellement de respiration, à prendre conscience du moment présent, des sensations corporelles, et à éliminer ainsi les tensions et inquiétudes. On sait depuis longtemps que l’attention baisse après 20-25 minutes et qu’il faut changer d’activité pour qu’elle se renouvelle. C’est le cas également pour les adultes, c’est physiologique. On peut ainsi simplement demander aux élèves de vider leurs poumons au maximum, puis inspirer, en retenant le souffle quelques secondes après chaque expiration et inspiration. Ils peuvent le faire cinq à dix fois: cela va créer une détente du corps, et par là même, une détente de l’esprit. Il n’y a pas de miracle: notre esprit est dans notre corps, et si le corps est un peu détendu, l’esprit sera plus calme. C’est un truc à utiliser avant un exposé ou un test, avant de s’endormir, ou dès qu’on l’estime nécessaire.