Pourquoi la géomédecine née il y a plus d’un siècle, fait-elle aujourd’hui particulièrement parler d’elle?

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Dis-moi où tu vis, je te dirai de quelle maladie tu souffres! Telle pourrait être la devise de la géomédecine qui s’intéresse aux effets de l’environnement sur la santé. Pour le Prof. Idris Guessous, médecin-chef du service de médecine de premier recours des HUG, cette science pourrait permettre une prévention plus ciblée.
Idris Guessous est spécialiste en géomédecine. Cette science a pour mission de comprendre et d’expliquer la distribution spatiale de diverses maladies: obésité, hypertension, Covid-19…
Pourquoi la géomédecine née il y a plus d’un siècle, fait-elle aujourd’hui particulièrement parler d’elle?
On en parle beaucoup plus car, grâce aux avancées technologiques, on peut cumuler et analyser beaucoup plus de données au niveau individuel et structurel. En parallèle, on comprend que ce qui fait ce que vous êtes et ce qui détermine votre état de santé, ce n’est pas uniquement la génétique mais une interaction entre les gènes et l’environnement. La géomédecine permet donc de compléter le puzzle en apportant des informations géographiques de l’environnement: le bruit auquel vous êtes exposé dans un lieu donné, vos modes de déplacements, le stress que vous subissez, etc.
Les déterminants environnementaux ont-ils autant de poids sur notre santé que les déterminants génétiques?
Certains rapports avancent que ce poids est réparti ainsi: 20% génétique et 80% environnemental ou structurel. Il y a très peu de variants génétiques qui expliquent à eux seuls les maladies complexes et chroniques comme l’hypertension. Les facteurs environnementaux sont donc décisifs: l’activité physique, la nutrition mais aussi le niveau de formation…
Le niveau de formation?
Oui, face à des maladies silencieuses comme l’hypertension, qui ne présentent souvent pas de signes particuliers, on est face à un raisonnement complexe et abstrait, il faut être informé et s’informer pour se dire: je ne ressens rien mais c’est quelque chose qu’il faut que je contrôle sérieusement pour éviter des accidents comme l’attaque cérébrale ou cardiaque. Néanmoins, bien que la part des causes environnementales soit souvent grande, je dirais que dans l’ensemble, ce qui va déterminer l’état de santé d’une personne c’est en fait, 100% ses facteurs génétiques et 100% ses facteurs environnementaux.
C’est-à-dire…
On n’a jamais dit que les deux causes devaient ensemble faire 100%, on peut tout à fait dépasser ce chiffre. Par exemple, pour un même profil génétique qui vous met à risque d’obésité ou de diabète, ce qui va faire la différence et changer l’expression de ce risque vers le haut ou vers le bas, c’est le lieu où vous vivrez adulte. Si vous habitez dans un environnement obésogène, c’est-à-dire à forte pression calorique, vous allez modifier votre risque de base vers le haut, et si au contraire, vous résidez dans un environnement plutôt protégé avec moins de fast food ou de produits salés ou sucrés, vous allez diminuer votre risque d’obésité ou de diabète.
Comment ces données géographiques sont-elles prises en compte lors de l’anamnèse du patient?
Au niveau individuel, un médecin fait déjà de la géomédecine. Selon le quartier dans lequel il s’est établi, il va petit à petit connaitre sa population, la qualité de l’air, les habitudes des résidents etc. En se renseignant sur le lieu de vie de son patient le médecin se fait également une idée de son son niveau socio-économique qui est, il faut le réaliser, déterminant dans les comportements de santé comme le tabagisme, l’activité physique, l’alimentation , le dépistage. En fait, pour avoir un comportement sain, il faut avoir régler beaucoup de choses dans sa vie. On dit que la santé est une priorité, mais en réalité elle ne l’est pas toujours, en tout cas rarement avant d’être malade.
Peut-on dire qu’il y a des lieux d’habitation plus toxiques que d’autres?
Plus ou moins toxiques, oui clairement. C’est lié notamment à la qualité de construction du logement, de son emplacement près d’une zone de grand trafic routier ou encore de la proximité des fast food.
Les nuisances sonores sont-elles un facteur de risque important pour la santé?
Oui, le bruit nocturne est un stress biologique qui vient rompre un sommeil réparateur. Vous étiez censé dormir et vous entendez un bruit qui provoque deux réflexes inconscients lié à son aspect menaçant: soit fuir la menace, soit aller vous battre contre celle-ci. C’est ainsi que nous sommes constitués et cela a été utile à la survie de la femme et l’homme préhistorique. Mais ces vieux réflexes, fuir ou se battre, sont très stressants. Parce que nous vivons malheureusement dans une société qui vous expose régulièrement au bruit, cela signifie que périodiquement, pendant la nuit, vous vous remettez dans cet état de stimulation qui peut entraîner à terme de l’hypertension, solidifier vos vaisseaux, modifier votre catabolisme, cause probable de problèmes d’obésité et de diabète.
Dans les lieux où les nuisances ou les comportements sont les plus problématiques, faudrait-il mener des campagnes de sensibilisation plus ciblées?
Aujourd’hui, on a une approche très globale au niveau des campagnes de prévention parce qu’il faut faire simple. C’est le cas par exemple du dépistage du cancer du sein où pendant des années le message était le même: vous êtes une femme de plus de 50 ans? Vous devez faire la mammographie tous les deux ans. Jusqu’à dernièrement, on n’a pas été dans la nuance en présentant par exemple la notion de «risque-bénéfice», à savoir qu’est-ce que vous acceptez ou non en matière de surdiagnostic. Or, aujourd’hui on se rend compte que ces nuances sont importantes et qu’il faut donc être plus précis dans les messages et interventions de santé publique.
Comment faire?
Ce qu’on propose, c’est qu’en récoltant des données au niveau populationnel, on n’ait par exemple, plus besoin de mettre des affiches de promotion de l’activité physique de façon uniforme sur tout un territoire. Il y a des endroits où on peut réduire la voilure car certaines régions ont compris l’importance du sport, elles engagent déjà des moyens pour en faire. En revanche, on voit qu’il y a d’autres régions qui ne répondent toujours pas à ces messages, comme au dépistage du cancer du sein ou aux mesures d’arrêt de consommation de tabac.
Et ces régions sont-elles toujours les mêmes?
En géomédecine on voit vraiment cette organisation spatiale des comportements, ces clusters, ces grappes de comportements identiques. Ça ne veut néanmoins pas dire que ce sera systématiquement dans le même lieu où l’on verra se multiplier les comportements à risque pour la santé. C’est plus complexe que cela.
Avez-vous donc des exemples précis qui expliquent pourquoi tel cluster apparaît dans tel endroit?
Oui, dans un axe où l’on va trouver un centre commercial avec des promotions fréquentes de boissons sucrées, on remarquera que c’est aussi là qu’on observera des clusters de surconsommation de soda et donc d’obésité. Dans d’autres quartier aux revenus plus modestes par exemple, on verra une plus grande consommation de tabac. Nous observons plus ou moins de participation au de dépistage du cancer du sein selon les quartiers. Observation que nous sommes en train d’étudier, mais il est envisageable qu’il suffise de quelques résidents du quartier ayant eu une mauvaise expérience du dépistage ou n’y croyant pas pour influencer les autres résidents. Il se produit alors un phénomène de contagiosité des comportements. Mais même si l’on peut aujourd’hui bien identifier ces clusters, on reste gêné à l’idée de faire des interventions ciblées en assumant le fait que dans un quartier, il faut peut-être mettre plus d’emphase sur la nutrition qu’un autre quartier.
Pourquoi?
Il y a une sorte d’universalité de la prévention. Si je fais plus de prévention au niveau populationnel dans un endroit donné c’est parce que vous avez un comportement qui mérite davantage d’intervention. Certaines personnes vont donc considérer que c’est une forme de stigmatisation, alors que pour moi c’est au contraire une santé populationnelle de précision pour le bénéfice des populations qui souffrent plus que d’autres.
Cette idée que l’environnement dans lequel nous vivons affecte notre santé pousse aussi à se responsabiliser…
Oui, ça responsabilise l’individu mais aussi la société dans l’effort qu’on met pour aider des gens qui sont dans des environnements moins favorables. On est en tout cas loin de la responsabilité uniquement individuelle. Par exemple, dans le cas du Covid, on dit souvent que le virus circule, mais ce n’est pas exact, il se regroupe parce que nous sommes nous-mêmes organisés en groupes. C’est quelque chose qu’on a d’ailleurs mis en évidence dans le cadre d’une étude récente. On a observé que le virus frappe plus durement et durablement les quartiers défavorisés de Genève.
Concrètement, qu’est-ce que ces études ont permis de mettre en place sur le terrain?
En plus de travailler maintenant avec la Fondation du dépistage du cancer, notre laboratoire de recherche universitaire GIRAPH collabore avec de nombreuses communes romandes - Veyrier, Plan-les-Ouates, Onex, Yverdon - qui nous mandatent pour faire des diagnostics territoriaux de santé. On a donc pu réaliser des comptes rendu précis de l’état de santé d‘une population afin que les autorités ne naviguent pas à vue mais qu’elles aient une idée claire de la situation actuelle et future de leur commune. Je trouve que dans l’ensemble les politiques à Genève et Vaud sont à l’écoute de ces approches de géomédecine.
2001: Diplômé de médecine à Lausanne
2009: Intègre les Hôpitaux Universitaires Genevois (HUG) et travaille sur les déterminants génétiques et environnementaux de la santé en tant que responsable de l’unité d’épidémiologie populationnelle
2014: Doctorat en épidémiologie à la Emory University (États-Unis)
2014 – aujourd’hui: Co-fonde et codirige avec le Dr Stéphane Joost de l’EPFL le groupe de recherche GIRAPH
2018 – aujourd’hui: Professeur et médecin-Chef du Service de médecine de premier recours des HUG et de l’universtié de Genève, membre du comité de direction de la Société Suisse de Médecine Interne Générale