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La guerre sans merci de la 5G

Entre des opérateurs, qui invoquent la modernité d’une technologie répondant à une demande exponentielle et des opposants qui y voient une marche forcée en contradiction avec les engagements climatiques, la connexion frise le dialogue de sourds.

Texte Laurent Nicolet
Date
141691

On pourrait penser l'affaire close, avec 90% de la population qui aurait accès à la 5G. Les choses sont un peu différentes. C'est en réalité une 4G améliorée qui a été installée, sur les antennes déjà existantes. Un opérateur  comme Swisscom appelle cette technologie «5G de base» par opposition à «la 5G plus», la véritable 5G, qui nécessite de nouvelles antennes. C'est contre ces nouvelles installations que plusieurs associations se sont organisées, pour inciter les riverains à faire opposition. Explications en 6 points, avec Christian Neuhaus, porte-parole chez Swisscom ,et Louisa Diaz, membre du collectif «STOP5G».

 

Christian Neuhaus explique que contrairement à la 5G normal, la 4G ou la 3G  qui fonctionnent «comme un lampadaire allumé en permanence, qu’il y ait des utilisateurs ou pas»  la 5G plus utilise des antennes adaptatives : «il faut imaginer un spot suiveur au théâtre qui s'allume et s'éteint en fonction de la prestation de l’artiste». Autrement dit « un faisceau qui s'enclenche et qui se déclenche selon les besoins de l'utilisateur. Si vous avez un mail à télécharger, vous allez recevoir l'impulsion nécessaire et dès que vous avez fini, le faisceau s'éteint».

Pour Louisa Diaz, cette nouvelle technologie est surtout synonyme d’une multiplication des antennes:  «Aujourd’hui, environ 3 000 antennes 5G sont en fonction. Les opérateurs souhaitent en développer davantage, soit plus de 26’000 supplémentaires. Par ailleurs, s’ajouteront les milliers d’antennes-relais qu’il faudra installer (presque 30'000 pour la Suisse), et les small cells placées d’après les projections, tous les 150-200 mètres en zones urbaines. Avec aussi une augmentation significative du rayonnement global auquel la population est soumise».

A quoi ça sert?

Pour Christian Neuhaus , la 5G permettra de répondre aux nouvelles habitudes des consommateurs: «aujourd'hui les gens font de plus en plus de streaming, que ce soit de la musique ou de la vidéo. Personne  ne télécharge plus un film avant de partir de la maison pour le regarder le soir. Nous ne construisons pas les réseaux pour l'utilisation d'hier ou d'aujourd'hui, mais de demain» .

Louisa Diaz rappelle au contraire que «les Suisses sont très partagés au sujet de la 5G. Ils sont 38% à approuver l’extension du nouveau réseau de télécommunication alors que 36,3% s’y opposent, selon un sondage mené par l’EPF de Zurich. Tandis que 25,6% sont indécis».

Un moratoire existe toujours dans le canton de Vaud alors qu’il vient d'être levé à Genève. Des blocages ont lieu au niveau des communes ainsi que de la part de riverains ou d'organisations «qui font systématiquement opposition dans certaines régions», relève Christian Neuhaus. Certes, «tant qu'une antenne respecte le droit de construction et les exigences des ordonnances sur le rayonnement, il n'y a pas de raison de ne pas obtenir le permis de construire». Sauf que cela peut prendre du temps «avec toute la procédure de recours habituels, jusqu'au tribunal fédéral dans les cas les plus extrêmes».

Louisa Diaz, elle, rappelle que les raisons de s’opposer à la 5G ne manquent pas: «Risques environnementaux, sanitaires (stress oxydatif, modification du métabolisme du cerveau humain , ou encore aggravation de maladie neuro-dégénérative, augmentation des TDAH, etc.)  et sécuritaires, absence de débat démocratique et de consultation citoyenne, chantage au progrès, forcing de la part des opérateurs, greenwashing quant aux impacts écologiques. Pire, on nous dit que les antennes consommeront moins, alors que l’IEEE (Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens) affirme qu’au contraire, elles consommeront trois fois  plus».

Christian Neuhaus cite une étude de Sotomo - un institut zurichois de géographie et de statistiques – pour affirmer que «les réseaux arrivent aujourd'hui déjà à saturation, avec un doublement de la bande passante utilisée par les clients tous les 15 à 18 mois». D’où la nécessité de pouvoir «construire et augmenter rapidement la capacité du réseau et absorber ainsi cette augmentation exponentielle d'utilisation des données». Selon lui  «des régions de Suisse sont aujourd'hui  saturées à certaines heures de pointe». La situation serait rendue encore plus compliquée avec de temps à autre la perte de certaines antennes: «Il arrive que des propriétaires  de sites, pour des raisons diverses, comme la modification d’un toit, ne renouvellent plus leur contrat et  là ça peut devenir très vite  critique, un peu comme si sur une autoroute on enlevait la bande d'arrêt d'urgence».

 Louisa Diaz souligne de son côté que les opérateurs «se plaignent» de cette croissance» mais qu’ils «l’alimentent en proposant des forfaits mobiles illimités», ou en incitant les gens «à utiliser des internet boosters sans fil pour augmenter le débit du fixe». Que «le 80% du trafic sont des vidéos, du récréatif,  et que l’on pourrait parfaitement diminuer leur résolution par 2 quand il s’agit de visualisation sur smartphone, ce qui diminuerait le trafic de 75%». Ou encore expliquer aux gens «qu’utiliser un point d’accès sans fil (smartphone ou booster) charge inutilement le réseau mobile, les irradie tout aussi inutilement et favorise cette 5G dont ils ne veulent pas».

«Il existe un consensus scientifique international pour dire qu'en matière de rayonnement si on respecte les valeurs limites il n'y a aucun risque avéré pour la santé»  Or, continue Christian Neuhaus les recommandations de l'OMS à cet égard «sont 10 fois moins sévères que celles appliquées en Suisse». Autre point relevé par les opérateurs : le rayonnement auquel on est  exposé proviendrait «à 90%» de nos propres appareils -smartphone. PC portable, tablettes,  et pour 10% seulement des antennes. «Il faut aussi savoir que plus l'antenne est éloignée et moins le signal est bon,  et plus votre appareil rayonne»  Au demeurant, conclut Christian Neuhaus, «si on ne sent pas à l'aise avec ces rayonnements on peut  prendre des mesures soi-même, comme éteindre le portable et le wifi pendant la nuit».

Selon Louisa Diaz les normes en vigueur en Suisse ne sont pas si sévères que ça  puisqu’elles ne «prennent pas en considération les pics d’intensité qui impactent déjà la santé» mais seulement une valeurs moyenne sur six minutes. Qu’ensuite les valeurs limites fixées ne sont valables que «pour les lieux dit à utilisation sensible. Partout ailleurs, ce sont des limites proches de celles l’OMS qui sont appliquées». Valeurs elles-mêmes calquées sur celles de l'ICNIRP (Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants) «dont la composition pose problème puisque presque tous ses membres ont des conflits d’intérêt avec l’industrie des télécoms». Qu’enfin depuis sa publication l'ORNI (Ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant) «connaît déjà bon nombre d'exceptions qui permettent que les limites soient dépassées».

 

«Avec l’apparition des nouveaux milliards d’IoT (internet des objets), on verra se multiplier les quantités de données transmises alors que l’on sait que les équipements personnels représentent déjà 47% des émission des gaz à effet de serre du numérique» souligne Louisa Diaz. Et d’asséner une salve de chiffres globaux: «100 millions de tonnes de CO2 sont rejetés pour le visionnage de films et de séries, soit la consommation annuelle de la Belgique, 80 millions de tonnes pour le visionnage de contenus pornographiques, soit la consommation annuelle de la Roumanie. 3,5 milliards de requêtes Google par jour représentent 125 fois le tour de la Terre en voiture».

 

Affirmer pour autant que l'utilisation de la 5G participe à l'accélération du réchauffement climatique  «cela ne tient pas la route» selon Christian Neuhaus. «C'est une technologie efficace et moderne: pour envoyer le même nombre de bits avec la 5G  on émettra 85 % de moins de CO2 qu’avec la 4G». On aurait donc à faire ici aux bienfaits, et à l’inéluctabilité de l’innovation technologique, «de la même manière qu’il ne viendrait à l'idée de personne d'utiliser encore une lampe à pétrole».

 

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