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Digitec Galaxus

«En 20 ans, nous n’avons  jamais parlé de prix»

En mai 2001, Digitec Galaxus s’est lancée à la conquête du commerce en ligne suisse. À l’occasion du vingtième anniversaire de la filiale de Migros, les deux fondateurs Florian Teuteberg et Oliver Herren reviennent sur les débuts de cette aventure.

Texte Kian Ramezani
Photos Christian Schnur
Date
Die beiden Digitec Gründer Florian Teuteberg (rechts) und Oliver Herren (links). Seit 20 Jahren sind sie mit Digitec unterwegs. 

Les deux fondateurs de Digitec: Oliver Herren et Florian Teuteberg.

Au sommet de sa carrière, Steve Jobs a déclaré qu’Apple était la plus grande start-up du monde. Quelle part de l’esprit start-up est restée chez Digitec Galaxus vingt ans après sa création? 

Florian Teuteberg: Elle est relativement grande si l’on regarde nos valeurs et notre culture. En effet, nous essayons de préserver des caractéristiques propres à ce type d’entreprise: nous travaillons en petites équipes à un rythme intensif et nous ne reportons pas artificiellement les décisions. Néanmoins, je trouve que le terme de «start-up» n’est pas adapté à notre situation. Après tout, nous employons plus de 2000 personnes. Je n’aime pas spécialement l’utiliser.
Oliver Herren: Nous essayons de donner à autant d’équipes que possible une marge de manœuvre suffisante afin qu’elles puissent fonctionner comme une start-up au sein de l’entreprise. Notre priorité est de lancer facilement de nouveaux projets et d’avancer rapidement. 

Y a-t-il des choses de vos débuts qui vous manquent? 

Florian Teuteberg: À l’origine, nous étions une toute petite équipe et nous nous occupions de tout, des achats au développement des logiciels, en passant par le service clientèle. Nous recevions tous les retours et nous pouvions ainsi tout mettre en œuvre sans attendre. Nous réussissions même à concrétiser de grandes idées en quelques semaines ou quelques mois tout au plus. Cela n’est plus possible aujourd’hui et je dois me faire à cette idée.

Qui a eu l’idée du nom Digitec? 

Oliver Herren: Moi. Je voulais combiner les mots «technologies» et «digitales» et j’ai pensé à «digitec». Le résultat n’est pas très créatif, mais tout à fait approprié pour la gamme de produits que nous vendons.

Digitec Galaxus

La société Digitec Galaxus a été fondée en 2001 par trois amis: Florian Teuteberg, Oliver Herren et Marcel Dobler (parti en 2014). Avec un chiffre d’affaires d’environ 1,8 milliard de francs en 2020, il s’agit aujourd’hui du plus grand détaillant en ligne de Suisse.


L’entreprise est détenue à 70% par Migros et exploite les deux boutiques en ligne Digitec et Galaxus, ainsi que onze magasins Digitec en Suisse.

Aviez-vous des modèles lorsque vous avez commencé en 2001? 

Florian Teuteberg: Nous n’avons pas réinventé le monde. À l’époque, il existait déjà des magasins en ligne avec possibilités de retrait. Notre ambition était d’offrir un design de boutique simple, où il était facile de s’y retrouver. Il ne suffisait pas de mettre en ligne des listes de produits, nous désirions aider les gens à s’orienter afin qu’ils trouvent rapidement les articles dont ils ont besoin. En 2005, nous avons mis au point une véritable innovation: les filtres de recherche. S’ils se sont imposés depuis, ils n’existaient pas auparavant et, en Europe, nous avons longtemps été les seuls à utiliser un système de ce genre.

Wie alles begann: Ein Bild aus den Anfängen von Digitec. Das Büro in Zürich war zugleich auch Lager. 

En 2001, le premier bureau de Digitec à Zurich mesurait 25 m2.

Mis à part cela, qu’est-ce qui vous distinguait de la concurrence? 

Florian Teuteberg: La décision délibérée de créer notre propre stock. Nous avions également une approche différente en matière de gestion de la marque: alors que les autres misaient sur les prix discount et bon marché, nous avions des offres incroyables, mais nous ne les mettions pas en avant. En vingt ans, nous n’avons jamais parlé de prix.
Oliver Herren: Nous voulions simplement créer le meilleur magasin en ligne qui, selon nous, manquait sur le marché. Nous aimions notre prestation, les marges ne nous intéressaient pas tant que ça. 
Florian Teuteberg: Et nous étions plus rapides que tous les autres. L’idée était aussi d’automatiser le plus possible le traitement. Passer des heures au téléphone avec des fournisseurs allait à l’encontre de nos principes. Dès les premières années, nous avons donc commencé à envoyer des commandes automatisées par e-mail. Mais ce fonctionnement surchargeait et embarrassait nombre de nos fournisseurs. Nous avons donc créé Marco Dren, une personne fictive, afin que celle-ci puisse faire tout ce que nous ne pouvions attribuer à une vraie personne. À partir du moment où Marco Dren a envoyé les commandes, tout est rentré dans l’ordre. Parfois, les collaborateurs du service externe rappelaient et demandaient à lui parler. Nous répondions alors qu’il était au sous-sol. Parce que c’est là que se trouvait notre serveur.

Tout comme Migros, Digitec s’est également heurtée à l’hostilité des autres détaillants à ses débuts. 

Florian Teuteberg: Notre plus grand adversaire à l’époque était Mediamarkt Zurich. Ils ne nous aimaient pas du tout. Lorsqu’ils ont réalisé que nous devenions un concurrent sérieux, ils ont exercé une pression massive sur les fabricants pour qu’ils ne nous fournissent pas. Cela
a fonctionné pendant un certain temps. Nous étions obligés de procéder à des importations parallèles, notamment dans le secteur de l’électronique de divertissement.

Est-il vrai que Digitec a été le premier détaillant à vendre l’Iphone en Suisse en 2007 – des modèles importés de l’étranger avec carte SIM débloquée – et que c’est la raison pour laquelle Apple Suisse a refusé de vous fournir pendant des années? 

Oliver Herren: Oui, c’est vrai. Les clients suisses ne voulaient pas attendre

Et combien de temps a-t-il fallu pour qu’Apple Suisse vous fournisse officiellement? 

Florian Teuteberg: Cinq ans au moins. Ils n’étaient pas les seuls. Samsung, Philips et Sony refusaient aussi de travailler avec nous. Ou ils nous proposaient des conditions telles que nous préférions importer depuis l’étranger.
Oliver Herren: D’ailleurs, cela se passe encore ainsi pour Galaxus. Certains fabricants ne veulent toujours pas vendre en ligne.

À propos des fondateurs

Florian Teuteberg, 42 ans, est le directeur de Digitec Galaxus. Marié, il a deux enfants et vit à Zurich.


Oliver Herren, 42 ans, est le chef de l’Innovation chez Digitec Galaxus. Il est marié, a trois enfants et vit à Zurich.

Digitec a commencé avec des PC gaming que vous assembliez vous-mêmes. Trouvez-vous encore le temps de jouer? Et lorsque vous achetez un nouvel ordinateur, l’assemblez-vous vous-mêmes? 

Oliver Herren: Oui. J’ai assemblé moi-même mon dernier ordinateur et celui de mon fils.
Florian Teuteberg: Ce n’est pas une tâche très difficile.

Une personne de votre entourage m’a suggéré de citer quelques mots-clés de vos débuts dans la conversation. Que vous évoque «boîte à pièces»? 

Florian Teuteberg: (Rires) Au début, beaucoup payaient en espèces au magasin. Nous mettions alors les pièces dans une boîte, car les banques n’acceptaient que les billets.
Oliver Herren: Et à un moment donné, nous devions les porter à la poste pour les échanger, car la caisse serait devenue trop lourde.
Florian Teuteberg: C’était notre coffre au trésor!

«Pétanque sur glace et conséquences?» 

Florian Teuteberg: C’était lors d’un événement partenaire avec Sunrise, où nous avions parié un montant publicitaire considérable. Nous avons gagné lors d’un bras de fer. L’année suivante, pour la revanche, nous devions nous affronter lors d’une partie de pétanque sur glace. Nous étions très confiants. En cas de défaite, notre équipe de vente devait porter des tee-shirts sur lesquels était inscrit «Digitec a perdu». Malheureusement, nous nous sommes fait battre et avons dû expliquer toute l’histoire aux collaborateurs concernés.

«Un compteur de clients qui repart à 0 après 99»? 

Oliver Herren: Notre premier système de tickets n’affichait que deux chiffres. Une fois, avant Noël, nous avions tellement de clients dans le magasin qu’il y avait des doublons. On s’occupait du plus rapide et l’autre devait attendre par conséquent très longtemps. Après cette expérience, nous sommes passés à un compteur à trois chiffres.
Florian Teuteberg: Ce qui était vraiment incroyable, c’est que nous avions plus de cent personnes dans le magasin en même temps. Je pense que c’était en 2007/2008 quand nos chiffres ont explosé.

Wie es im Innern des grössten Online-Händlers, im Zentrallager in Wohlen AG, heute aussieht.

En vingt ans, l'entrepôt de Wohlen (AG) n'a cessé de croître.

L’année de sa fondation en 2001, Digitec réalisait déjà un chiffre d’affaires de quatre millions de francs. Avez-vous déjà douté de la réussite du projet? 

Florian Teuteberg: Oui, constamment. Au début, le succès n’était pas du tout aussi certain qu’il peut sembler l’être aujourd’hui. Les affaires ont commencé à décoller en 2005.
Oliver Herren: Nous étions jeunes et n’avions presque pas de frais. Pendant les six premiers mois, nous ne nous sommes versé aucun salaire, et par la suite, celui-ci était très bas.
Florian Teuteberg: Il y a toujours eu des moments critiques. Le déménagement en 2003 dans les bureaux de Zurich Ouest était un pari risqué. Si les ventes avaient baissé à cette période, même de façon minime, nous n’aurions pas pu payer le loyer et ça aurait été la fin. Une croissance était nécessaire. Nous avons également pris des risques avec la zone de stockage dans le petit village de Kleindöttingen (AG). Bien sûr, il y avait des signes de succès, mais nous ne savions pas, par exemple, à quelle vitesse la concurrence allait lancer ses propres magasins en ligne. Nos prix étaient attractifs, mais les grands acteurs auraient pu facilement faire encore mieux.

Quel a été le moment le plus délicat? 

Florian Teuteberg: Les années 2010/2011 ont été très difficiles. C’est la période où nous avons refait intégralement notre magasin. Avec l’ancien, nous n’avons donc plus rien entrepris pendant des années, alors que la concurrence nous rattrapait. C’était vraiment limite, les ventes et la rentabilité étaient aussi en légère baisse à l’époque. C’est à ce moment-là que Migros nous a contactés et, finalement, tout s’est bien passé. Nos marges étaient toujours à peine suffisantes et nous faisions juste assez de bénéfices pour financer nos prochains investissements. La plupart des start-up échouent non pas parce qu’elles ne font pas assez de bénéfices ou parce qu’elles se développent trop lentement, mais parce qu’elles rencontrent des problèmes de liquidités à un moment donné. Cela aurait très bien pu nous arriver. Les finances ne nous intéressaient pas, nous voulions simplement proposer un magasin sympa. 

En 2012, Migros vous contacte. Comment l’avez-vous vécu? 

Florian Teuteberg: Nous recherchions activement un investisseur. L’offre n’a donc pas été une surprise totale. La décision de renoncer à une partie de notre indépendance a bien sûr été difficile à prendre. Migros nous donne beaucoup de marge de manœuvre, mais à l’époque nous ne pouvions pas encore le savoir. 
Oliver Herren: J’avais aussi des doutes. Chez nous, la liberté occupe une place telle que nous avons convenu et stipulé contractuellement la parité au sein du conseil d’administration.

Le slogan de Galaxus est «presque tout pour presque tou(te)s». Y a-t-il des produits que vous ne vendrez jamais? 

Oliver Herren: Cette petite phrase est avant tout une allusion au secteur qui prétend avoir toujours tout et surtout le meilleur. Personne ne peut affirmer proposer le meilleur, tout le temps, et au prix le plus bas.

Il n’y a donc aucun produit que vous ne voudriez pas inclure dans votre assortiment par principe? 

Florian Teuteberg: Il y a des limites, bien sûr. Nous ne vendrons jamais de choses comme des armes à feu, des objets pornographiques ou de la fourrure. Si nous acceptons tout, nous devenons une plateforme où notre communauté décide elle-même de ce qu’elle pense être bon ou mauvais. 

Et les denrées alimentaires fraîches? 

Tous deux: (Rires) Non plus.

Vous vous connaissez depuis votre jeunesse et vous avez passé la moitié de votre vie professionnelle à travailler ensemble. Votre relation a-t-elle évolué durant votre collaboration? 

Florian Teuteberg: Oli et moi étions de très bons amis et le sommes toujours. Nous passons aussi du temps ensemble durant nos loisirs et avec nos familles. Je suis le parrain de sa fille et il est celui de la mienne. C’est une relation solide, et nous en avons besoin, car dans certains cas, nos points de vue sont très différents. 
Oliver Herren: Nous travaillons toujours en étroite collaboration. Même si c’est moins qu’au début, quand nous faisions tout nous-mêmes.
Florian Teuteberg: Toutefois, nous sommes toujours assis l’un à côté de l’autre.

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