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Enfants

A la conquête de la peur

Exacerbée par l’apparition du coronavirus, cette émotion n’est pas toujours facile à apprivoiser pour les enfants. Julie Baumer, psychologue FSP à Fribourg, donne différentes pistes aux parents pour soutenir leurs bambins dans cette démarche.

Texte Véronique Kipfer
Date
Peurs des enfants

Depuis le début de la pandémie, les psychologues pour enfants et adolescents reçoivent un nombre toujours croissant de patients. «Le fait que beaucoup de familles restent davantage à la maison a créé un «rapprochement forcé» entre les différents membres, explique Julie Baumer, psychologue FSP et directrice du cabinet PsYkids, à Fribourg. Pour certaines familles, cela se passe bien, mais pour d’autres où l’équilibre était déjà fragile avant, ce rapprochement augmente les situations de conflits ou tensions. Mais j’ai aussi une augmentation des demandes pour des thèmes sans lien direct avec le Covid.»

Une émotion, en particulier, a été exacerbée par l’apparition du coronavirus: la peur. «Chez les enfants, il y a la peur d’attraper le virus et la peur de la mort, énumère la psychologue fribourgeoise. Au début de l’épidémie surtout, beaucoup d’enfants étaient peu informés et avaient des croyances irréalistes par rapport au virus. Depuis la deuxième vague, nombreux sont ceux qui ont dû fortement réduire les contacts avec leurs grands-parents «pour ne pas les contaminer» et cela n’est pas facile, car l’enfant a peur d’être coupable si un grand-parent attrape le virus à cause de lui. Il y a encore les peurs autour d’un risque de séparation ou divorce des parents, dans les familles où les tensions ont augmenté depuis la pandémie.»

Les plus anxieux ? «Les enfants qui sont à l’école primaire: c’est l’âge où les enfants ont un niveau intellectuel qui leur permet de comprendre un certain nombre de choses autour du virus, mais leur capacité à les assimiler émotionnellement ne suit pas toujours.»

 

Conseils

Julie Baumer propose différentes pistes, afin d’aider les parents à trouver les mots justes et à rassurer leurs rejetons, quelles que soient leurs peurs:

 

1) On peut parler avec l’enfant de toutes les situations où la peur est utile, pour lui montrer que cette émotion est aussi son amie, qu’elle est là pour le protéger. Puis lui apprendre à différencier quand elle est à sa juste place, ou non.

2) C’est très important d’écouter son enfant. Ce dernier doit pouvoir extérioriser ses émotions sans se sentir jugé ou critiqué («mais tu es grand», «sois un peu fort»), et sans que sa peur soit tout de suite rationalisée ou banalisée. Il n’est pas nécessaire de chercher tout de suite et à tout prix une solution concrète, mais il est possible de rassurer l’enfant après l’avoir écouté, en lui disant par exemple: «je comprends ce que cela te fait, je suis confiant que nous trouverons des solutions, nous sommes là pour t’aider».

3) C’est aussi essentiel d’aider l’enfant à exprimer ce qu’il ressent: il doit pouvoir donner une forme à ce qui lui fait peur, car ainsi, la peur paraît plus connue, plus maîtrisable. Souvent, les parents ont tendance à vouloir mettre des mots sur les peurs de l’enfant à sa place, mais il faut le laisser s’exprimer - avec des limites: si l’enfant casse des choses, ou si ses émotions deviennent tellement ingérables et envahissantes qu’elles perturbent fortement la vie familiale, il faut pouvoir lui dire que cela ne va plus et trouver des alternatives avec lui. 

4) On peut aussi soutenir l’enfant avec des activités comme la pâte à modeler ou le dessin, qui sont parfois un outil d’expression plus facile à utiliser. Les livres d’histoires sur des thèmes autour de la peur peuvent aussi être utiles, car l’enfant s’identifie au héros: c’est inspirant pour donner un sens à ses propres peurs, et l’encourager face aux défis qu’elles lui imposent.

5) Les parents doivent être en adéquation avec le discours rassurant qu’ils tiennent: les enfants sont en effet très doués pour lire dans leur inconscient! Ils captent davantage le fond émotionnel de leurs parents que le contenu de leur discours. Et les façons dont ces derniers réagissent face à différents stress sont un modèle de comportement pour les enfants, qui apprennent surtout par l’identification et l’imitation.

6) L’enfant a besoin d’un environnement stable et sécurisant et d’être encouragé à la fois dans son autonomie et dans le développement de sa confiance en soi. Les enfants qui ont des difficultés liées aux peurs ont souvent des parents trop ou pas assez protecteurs. Il faut donc un juste milieu, pas toujours évident à trouver. 

7) S’il faut protéger l’enfant des situations auxquelles il ne serait pas capable de faire face et qui pourraient être traumatisantes, il n’est toutefois pas conseillé d’anticiper tout ce qui pourrait l’inquiéter: c’est bien qu’il ose se confronter à de petites peurs qu’il apprend à maîtriser. Il apprend ainsi que c’est une émotion normale et surmontable, en tire de la confiance en lui et un sentiment d’efficacité personnelle. Dans les situations plus compliquées, on peut aussi être avec lui et l’encourager, afin qu’il soit rassuré et développe des ressources en s’appuyant sur l’adulte.

8) Ne pas hésiter à passer par le jeu et l’imagination. Pour un enfant qui a peur du noir par exemple, pourquoi ne pas dormir une nuit sur un matelas dans sa chambre, allumer des lampes de poche et jouer à «chercher les peurs» dans la pièce, ou vérifier qu’il n’y a pas de monstres sous le lit ? Cela permet de créer une autre dynamique. «Souvent, les parents ont déjà essayé plein de choses lorsqu’ils viennent consulter un psychologue, souligne Julie Baumer. Lorsque leur soutien n’a pas suffi, un psychologue peut ensuite travailler de façon plus fine avec l’enfant, par exemple avec des méthodes autour de l’imaginaire, un travail autour des pensées liées à la peur, ainsi que des techniques de relaxation.»

Un livre qui aide à comprendre

Tout nouvellement paru et richement illustré, «Qui a peur de la peur?» permet aux enfants dès 8 ans – et aux plus grands! - d’analyser cette émotion sous toutes ses facettes, de la plus sérieuse à la plus ludique. Car la reconnaître et la comprendre, c’est l’apprivoiser.

De Milada Rezková, LukአUrbánek et Jakub KaŠe, Editions Helvetiq, 196 p. 

A commander sur: www.exlibris.ch

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