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Isolation sensorielle

Faire le vide autour des sens 

Casque avec réducteur de bruit, pod de sieste, caisson d’isolation sensorielle… Depuis quelques années, les outils et concepts visant à nous protéger des stimuli extérieurs ne cessent de se multiplier. Sortes de remèdes anti-stress, ils auraient de nombreux bénéfices pour la santé.  

Texte Nadia Barth 
Date
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L’hyperactivité comme la surstimulation des sens peuvent entraîner des problèmes de santé. L’arrivée sur le marché de casques avec réducteur de bruit sonne donc comme une délivrance (photo: Getty Images).

Au milieu de nos quotidiens saturés de bruits, d’écrans et de sollicitations en tous genres, de nouvelles oasis urbaines fleurissent un peu partout en Suisse. On les appelle cocon ou caisson d’isolation sensorielle ou encore pod de sieste... Tous ont en commun d’apaiser les sens et de permettre une relaxation plus ou moins profonde suivant le dispositif. Le concept qui fait le plus parler de lui depuis quelques années est la flottaison. Son principe est simple: dans un caisson sans bruit ni lumière, le corps flotte, porté par une eau à température corporelle, chargée en sel d’Epsom. Affranchi  de la gravité ou encore du besoin de réguler sa chaleur, le corps serait dans des conditions de détente optimales. «Il s’agit de l’endroit sur terre où l’on dépense le moins d’énergie, ce qui permet de la recruter pour le ressourcement psychologique et physique de l’individu», pointe le Dr Michael Ljuslin, cofondateur du centre de flottaison Origin Float à Genève et chef de clinique en médecine palliative aux HUG. Les promesses de cette méthode: réduire le stress et ses douleurs associées, permettre la récupération musculaire ou encore améliorer le sommeil et la concentration. «Nous offrons une expérience idéale – hors des contraintes quotidiennes, qu’elles soient professionnelles, personnelles, sensorielles, physiques ou encore mentales – pour se reconnecter à ce qui reste de sain en nous-mêmes, poursuit le Dr Michael Ljuslin. C’est une méthode très naturelle qui permet de contrebalancer l’hyperactivité imposée par nos sociétés modernes.»

On le sait aujourd’hui, l’hyperactivité comme la surstimulation des sens peuvent entraîner des problèmes de santé. Par exemple, le stress provoqué par le bruit serait à l’origine de troubles cardiovasculaires, de l’hypertension ou encore des troubles de la communication. En Suisse, une personne sur sept vit dans un lieu où le seuil de pollution sonore est dépassé pendant la journée, et une personne sur huit pendant la nuit, selon un rapport de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) de 2018. À noter que le sommeil est perturbé à partir d’un niveau sonore de 40 à 50 décibels déjà. On se réveille alors plus souvent, ce qui entraîne de la somnolence, une baisse de l’attention et des performances le lendemain.

L’essor des casques antibruit

Face à un tel constat, l’arrivée sur le marché de casques avec réducteur de bruit sonne comme une délivrance. Leurs principes: atténuer le ramdam urbain ou toute cacophonie ambiante pour une écoute plus paisible de la musique et une meilleure concentration. Désormais, presque toutes les marques proposent ces modèles. «Depuis le début de cette année, plus de 30% des écouteurs vendus possédaient l’option de réduction du bruit, confirme David Kübler, chargé de communication chez Galaxus. Ils sont très populaires, d’ailleurs deux de nos trois best-sellers sont ces écouteurs spéciaux.» Un essor qui atteste de l’engouement pour ces nouveaux outils. Mais sont-ils, comme les concepts d’isolation sensorielle, de vraies réponses à la saturation de nos sens ou de simples gadgets? (Lire entretien ci-après).

Conseils

Bien se détendre 

Les trois conseils de Raphaël Heinzer, médecin chef du centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV.

 

1. La sieste courte

Pour quelqu’un qui se sent stressé, fatigué ou qui n’a pas assez dormi, le fait de s’isoler un moment de la lumière et du bruit, dans une position confortable avec une température agréable, c’est l’idéal. Nous recommandons alors la sieste courte de 10 à 20 minutes pour éviter d’entrer en sommeil profond. Un sommeil léger ou intermédiaire peut être déjà très réparateur. On conseille alors de mettre un petit réveil pour éviter d’émerger du sommeil profond, ce qui n’est jamais très agréable puisqu’on est alors un peu glauque ou assommé.

 

2. La sieste longue

On peut aussi carrément rentrer chez soi, se mettre en pyjama et faire un cycle complet de sommeil d’une heure et demie, ce que font traditionnellement certains Espagnols.

 

3. Les outils pour s’isoler

Il ne faut pas hésiter à avoir recours à toute mesure qui peut éloigner l’individu des éléments stressants de l’extérieur. On peut alors s’isoler dans un pod de sieste qui protège du bruit et de la lumière ou avec un casque ou encore un coussin comme ceux qui ont été spécialement conçus pour la sieste et dans lesquels on peut plonger le visage et les mains.

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Pour Vincent Kaufmann, professeur à l’EPFL et directeur scientifique du Forum Vies Mobiles, l’accélération de nos rythmes de vie est à l’origine de notre intolérance au bruit.

«Ces concepts sont des médicaments qui ne traitent pas la racine du mal»

Vincent Kaufmann, est-on devenu plus intolérant au bruit qu’auparavant? 

Oui, car nous sommes pris dans des rythmes de vie que souvent on ne maîtrise pas. Il y a une espèce d’accélération du quotidien qui est liée à l’esprit de la modernité, au sens de la période historique dans laquelle nous vivons, qui est toujours faite d’optimisations. Dans le système économique, on cherche toujours à faire de la façon la plus rationnelle possible en essayant d’accumuler le gain le plus important, et cela se traduit par une accélération de toute une série de processus et de procédures. Cela a des effets sur la vie quotidienne tels que le stress ou le burn-out. Quant au bruit, cela signifie que lorsque l’on a une vie trépidante, notre lieu de refuge devient le logement. On a alors des attentes au niveau du calme dans ce lieu qui sont probablement beaucoup plus importantes que par le passé.

La pandémie ne nous a-t-elle pas aussi rendu plus attentif à notre qualité de vie?

Oui, la pandémie a mis un coup d’arrêt à cette accélération. Ainsi, quand on ne se déplace plus ou très peu, on retrouve soudainement du temps, on redécouvre la proximité de son domicile, de son quartier, on se met à parler à ses voisins. On retrouve donc une forme de zone de calme qui fait que probablement on n’a pas envie de revenir à la vie d’avant, avec le stress que ça suppose, c’est ce que montrent plusieurs recherches récentes menées notamment dans le cadre du Forum Vies Mobiles.

Casque anti-bruit, cocon et caisson d’isolation sensorielle… Ces concepts sont-ils des réponses à la saturation, notamment celle de nos sens?

Oui, cela répond certainement à un besoin. Mais on est dans une espèce de dichotomie parce que pour pouvoir supporter le rythme de plus en plus soutenu que nous -imposent nos sociétés, on s’isole et on se crée des bulles dans lesquelles il n’y a pas de bruit, de lumière, un bien-être, où l’on peut se ressourcer à la manière des moines. Je pense donc que ces concepts sont un peu des palliatifs, des médicaments qui ne traitent pas la racine du mal, c’est-à-dire que ça ne remet pas en question l’accélération de nos rythmes de vie. Il s’agit juste de moyens pour essayer de mieux la supporter. Il me semble pourtant qu’on aurait besoin d’une réflexion de fond sur le rythme en tant que tel: est-il sain de passer d’une journée de stress intense à la boîte de décompression, car c’est votre seule manière de survivre?

Ces concepts et outils sont-ils donc de simples gadgets ou des tendances passagères?

Peut-être pas. Si après la pandémie on repart comme avant, c’est-à-dire dans des rythmes de vie soutenus avec des déplacements lointains et rapides ou encore des problèmes de charge mentale, on aura besoin de ces instruments. Il ne s’agira alors pas de gadgets, car pour supporter notre vie quotidienne, il faudra avoir ces lieux de repli. 

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