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Bien vieillir

«Pourquoi ne pas faire une Old Pride?»

Il ne fait pas bon vieillir ! Ce constat révolte l’écrivaine et sexologue québécoise Jocelyne Robert qui estime que les seniors, tant qu’ils sont sur Terre, ont droit comme les autres à toutes les prérogatives du vivant, c’est-à-dire à la joie, à l’amour, au plaisir et à l’érotisme.

Texte Alain Portner
Photos Getty Images
Date
145295

Jocelyne Robert souhaite modifier le regard que pose la société sur les aînés et changer aussi la perception que ces derniers ont d’eux-mêmes.

Jocelyne Robert, pour commencer cet entretien, nous oserons cette question qui ferait sans doute bondir la baronne Nadine de Rothschild, chantre de l’étiquette et des bonnes manières: quel âge avez-vous?

J’ai 73 ans, je suis arrière-grand-mère et fière de l’être.

 

Ça ne vous gêne vraiment pas que l’on vous demande cela ?

Absolument pas. Nous n’avons pas à avoir honte de dire notre âge et ça me bouleverse de voir combien les gens – les femmes surtout ! – ont de la difficulté à dire leur âge. C’est un échec du féminisme.

 

Et si on vous dit que vous ne faites pas votre âge : ça vous flatte ou vous agace ?

Je mentirais en vous disant que ça ne me flatte pas : nous souhaitons toutes et tous être plaisants, séduisants, et il est évident que je n’ai pas envie d’avoir l’air poussiéreuse et dépassée ni dans mon corps ni dans ma tête. Mais en même temps, ça m’énerve car cela confirme bien la force des diktats de nos sociétés occidentales qui vouent un véritable culte à la jeunesse, à la beauté et à la performance. Il faut toujours être fringante comme si nous avions 20 ans !

 

Née en 1948, vous êtes donc une « baby boomer », une représentante de cette génération dorée qui semble horripiler tout particulièrement les « millénariaux », soit les jeunes adultes d’aujourd’hui…

Les « millénariaux » sont convaincus que les « boomers » sont responsables de tout, qu’ils ont pris la plus grosse part du gâteau et refusent de céder leur place, de disparaître… Mais je pense que nous assistons davantage à un clivage jeunes/vieux qu’à un affrontement entre deux générations. Pour les jeunes d’aujourd’hui, les gens de 55 ans et plus sont des vieux qui ont fait leur temps et devraient s’en aller. Mais tant et aussi longtemps que nous sommes sur cette Terre, nous avons le droit à toutes les prérogatives du vivant, c’est-à-dire à l’amour, à l’érotisme, à la rencontre, à la joie, au travail… Et nous méritons aussi d’être regardés et considérés comme des femmes et des hommes à part entière. Hélas, dans notre monde occidental, c’est l’âgisme qui domine.

 

Vous avez le sentiment d’être victime de racisme antivieux ?

Non, pas vraiment. Je suis plutôt solidaire de celles et ceux qui en sont victimes. Et ils sont nombreux. Bon, il m’est quand même arrivé de me sentir exclue. C’était durant la première vague de Covid, quand les vieilles et les vieux n’avaient pas le droit de faire leurs courses. Là, j’ai dissimulé mes cheveux blancs sous une casquette pour éviter que l’on me regarde de travers. Cette pandémie a vraiment eu un effet de loupe sur nos comportements odieux, sur nos attitudes indignes envers les aînés.

 

Est-ce cet âgisme galopant qui a poussé la « boomer » que vous êtes à publier cet essai intitulé « Vieillir avec panache » ?

Oui, c’est ce rejet, cette ségrégation, cet ostracisme qui m’a incitée à prendre la plume, c’est la réalité de toutes ces personnes qui vivent cette souffrance avec un grand « S ». Et la Covid a été le point de bascule. Au pire de la pandémie, j’étais prostrée comme tout le monde devant la télévision et j’ai été frappée de la manière dont on parlait des victimes selon qu’elles étaient jeunes ou vieilles. Quand un adulte jeune mourrait, nous avions droit à des reportages très émouvants, alors que les gens âgés décédés, eux, étaient réduits à des chiffres, à des statistiques. Mais une vieille personne a aussi une histoire, elle mérite qu’on s’intéresse à elle. On a autant de valeur à 80 ans qu’à 40 ans !

 

Pourquoi ce rejet des seniors ? Pourquoi cette aversion pour tout ce qui évoque le vieillissement ?

Il y a certainement plusieurs raisons, mais la principale, selon moi, c’est que nous vivons dans un monde où l’on porte aux nues tout ce qui est jeune et où l’on rejette tout ce qui a de l’usure. En fait, tout ce qui a traversé le temps et l’histoire est obsolète et dépassé. Et cette notion, nous l’avons si bien intériorisée que même les vieilles et les vieux ont fini par se laisser convaincre qu’ils ne valaient plus rien, qu’ils n’avaient plus voix au chapitre, qu’ils devaient se retirer. Comme s’ils étaient devenus des « Serpuariens » (c’est le nom utilisé au Québec, dans une célèbre pub télévisuelle, pour désigner les vieux appareils électroniques qui ne servent plus à rien, ndlr). C’est terrible, ça !

 

« Nous ne souffrons pas la vieillesse, écrivez-vous, car nous ne supportons pas notre propre mortalité, notre propre finitude, notre déchéance imminente »…

C’est vrai. Mais je crois que la peur de la déchéance et de la mort a moins d’impact que les stéréotypes, les diktats de nos cultures occidentales. Prenez les actrices et présentatrices télé ! Dès qu’elles ont une ride, elles se sentent obligées, sous la pression sociale, de se faire refaire le visage. Quant aux hommes, même si c’est moins flagrant, ils sont aussi torturés en vieillissant par le déclin de performances que ce soit au travail ou au lit.

Et ils se font prescrire du Viagra !

Oui, comme si on atteignait le bonheur à partir du moment où l’on performe... J’ai tellement rencontré de gens, autant des femmes que des hommes, pour qui la sexualité était une souffrance et une corvée. Tout ça parce que la notion de performance transforme un espace de joie et d’échanges en un lieu d’angoisse et de travail. Dans nos sociétés, nous confondons performance génitale et sexualité. C’est un amalgame malheureux.

 

C’est pour tout cela que vous invitez, dans votre essai, vos camarades du 3ème et 4ème âge à réinventer la vieillesse, à la révolutionner ?

Même si nous sommes toutes et tous concernés par le vieillissement – les jeunes aussi parce que ce sont des vieux en devenir –, le changement commence par nous les vieux et les vieilles. Ce n’est pas en se soumettant que l’on exerce sa liberté. Nous ne devons pas nous empêcher de faire des choses qui nous plaisent sous prétexte que ce n’est plus de notre âge. D’ailleurs, qu’est-ce qui n’est plus de notre âge !!? Qu’attendons-nous pour nous affirmer ? Il y a la Gay Pride, parade de la fierté LGBTQ+… Pourquoi pas une Old Pride, une parade de la fierté des vieux ?

 

Vous aimeriez que vos alter ego retrouvent leur fierté, se sentent « sexygénaires », alors même – comme vous le relevez dans votre livre – que « le corps, le tonus, les fesses, les seins et les sexes sont moins fanfarons en vieillissant »…

Oublions la quête de la jeunesse éternelle ! Il faut accepter de n’avoir plus 20 ans, accepter d’avoir les chairs plus flasques, les seins plus tombants, les érections moins hippopotamesques, il faut accepter ces changements pour s'accueillir et s’épanouir dans ce corps transformé, dans cette nouvelle réalité. La beauté, c’est le mouvement, c’est la vie !

 

Comme le sexe ?

L’érotisme fait partie de la vie jusqu’à la fin de nos jours. Mais le plaisir est suspect, la recherche du plaisir reste taboue dans nos sociétés soi-disant libérées. Et la sexualité des aînés, c’est vraiment le tabou des tabous. Comme si les personnes âgées cessaient d’être désirables et désirantes, comme si elles n’avaient plus le droit à l’érotisme, à l’amour, à l’affection, à la sensualité, à la joie… Mais jusqu’à la mort, les êtres humains ont besoin d’être perçus comme des hommes, comme des femmes à part entière.

 

Peut-on vraiment vieillir joyeuse ou joyeux ainsi que vous le préconisez ?

Si nous ne changeons rien, si nous ne prenons pas conscience, nous allons vieillir comme on a vécu. Alors que nous avons du pouvoir sur les choses. Le vieillissement, au fond, c’est une sorte d’œuvre à réussir comme on a entrepris notre vie jusqu’à présent avec nos ombres et nos lumières, nos succès et nos échecs. C’est une question d’attitude finalement.

A lire: «Vieillir avec panache», de Jocelyne Robert, Les Éditions de l’Homme

 

BIO EXPRESS

1948     Jocelyne Robert naît à Montréal. Elle est la cadette d’une fratrie de sept enfants

1964     L’accès aux études supérieures étant alors réservé aux élites, elle intègre le monde du travail et milite pour le droit à l'éducation et la causes des femmes et des enfants

1979     Après avoir œuvré comme attachée de presse dans le milieu politique, elle peut enfin se lancer dans des études universitaires

1982     Travaille dans le monde de l'éducation

1985     Sort son premier best-seller « Ma sexualité » (une collection de trois livres éducatifs pour enfants de 0 à 11 ans) et fait partie désormais du paysage médiatique canadien. Elle écrira par la suite une quinzaine d’ouvrages à succès, dont « Parlez-leur d'amour... et de sexualité », « Te laisse pas faire ! », « Les femmes vintage » et « Le sexe en mal d’amour »

1990     Retourne sur les bancs de l’uni pour suivre des études universitaires supérieures en recherche-sexologie, philosophie et sciences sociales 

2007    L’Université du Québec lui décerne le Prix Reconnaissance en sciences humaines pour la qualité de son parcours et sa contribution au rayonnement de son secteur d'études et de sa sphère d'activité professionnelle à l'échelle nationale et internationale

2019     Devient arrière-grand-mère et reçoit le titre de pionnière en sexologie de l'université du Québec pour son combat constant contre les préjugés à l'égard des femmes, des personnes âgées et en matière de sexualité humaine

2021     Publie « Vieillir avec panache »

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