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Reportage

Amour vache

Sur les pâturages, bovins et promeneurs ne font pas toujours bon ménage. Préoccupées par cette situation, les associations de randonneurs et d’agriculteurs multiplient les campagnes d’information et de sensibilisation afin de prévenir les accidents. 

Texte Alain Portner
Photos Getty Images et Keystone
Date
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Sur l’alpe, les vaches sont chez elles. Pour ne pas déranger, il vaut mieux résister à la tentation de s’en approcher et de les toucher.

« La Suisse trait ses vaches et vit paisiblement. » Qui a écrit ça ? Victor Hugo qui appartenait à une époque où la marche n’était pas encore tendance. Depuis, ce sont des milliers, des millions même d’Helvètes qui partent sac au dos avaler des kilomètres de sentier. « Selon l’étude Sport Suisse 2020, environ 57% de la population pratique régulièrement la randonnée aujourd’hui », confirme Patricia Cornali, chargée de communication chez Suisse Rando.

 

Le hic, c’est que ces gentils promeneurs ne sont pas les seuls à proliférer sur l’alpe et ailleurs : les troupeaux de ruminants y fleurissent aussi. Résultat des courses, les rencontres humains-bovins deviennent plus fréquentes et les incidents plus courants, même s’ils restent rares heureusement. « Il n’existe pas de statistique officielle », précise Etienne Junod, responsable romand du Service de prévention des accidents dans l’agriculture (SPAA). Et officieusement ? « Les événements, qui nous sont rapportés, se comptent sur les doigts d’une ou de deux mains par année, pas plus. Et dans 95% des cas, un chien est impliqué. »

 

Une paille ? Sauf évidemment lorsqu’il y a blessure grave, voire mort d’homme ou de femme comme cela arrive parfois. De quoi, en tout cas, alimenter la rubrique faits divers des journaux, et surtout préoccuper les associations de tourisme pédestre et de propriétaires de bétail qui multiplient les actions (voir encadré) visant à informer et sensibiliser – pour ne pas dire éduquer ! – le grand public. « Il y a de plus en plus de randonneurs inexpérimentés, relève Patricia Cornali. Ces derniers ont besoin de conseils parce qu’ils ne connaissent pas bien la nature ni ses habitants. »

 

« Beaucoup de gens n’ont aucune idée de ce qu’est la campagne, ajoute Etienne Junod. Ils croient qu’ils sont à leur place sur le pâturage, ils agissent comme s’ils se trouvaient en terrain conquis et que les vaches étaient, à la limite, des intruses. Mais c’est le contraire et il faut qu’ils prennent conscience de cela ! » L’expert du SPAA est un poil remonté face aux bipèdes lambda qui ignorent souvent tout ou presque des mœurs et humeurs de ces quadrupèdes. « Ils imaginent que ce sont juste de belles bêtes tranquilles et inoffensives. Certains savent même qu’elles produisent du… lait. »

 

Pour ce formateur d’adultes et fin connaisseur de la gent bovine, il est fondamental de comprendre que les ruminants ne perçoivent pas le monde qui les entoure de la même façon que nous. « Ils nous considèrent comme des prédateurs. Une cohabitation harmonieuse est possible seulement si on change d’attitude, si on laisse à l’animal une chance de ne pas se comporter comme une proie. » En particulier lorsqu’il y a des veaux dans le troupeau. Là, il faut vraiment redoubler de prudence et d’attention, car les vaches allaitantes sont comme toutes les mères : si elles perçoivent une menace, elles peuvent devenir agressives pour protéger et défendre leur petit.

Donc, on se tient toujours à distance raisonnable des bêtes à cornes de manière à ce qu’elles ne se sentent pas en danger. D’autant plus si l’on est accompagné d’un chien. Et bien sûr, cela découle d’ailleurs de cette règle d’or, on évite de les chatouiller ou pire de les embrasser (avec ou sans la langue) comme des internautes germanophones l’ont fait récemment pour relever un défi – le « KuhKuss Challenge » – que leur avait lancé l’application Castl, qui a son siège en Appenzell. Même si c’était pour une bonne cause, ça a fait bondir une ministre autrichienne et également notre interlocuteur : « C’est complètement débile, contre-productif et dangereux ! ».

 

Etienne Junod use d’une métaphore pour conclure : « Quand vous foulez un pâturage, vous marchez dans l’assiette des vaches. Elles sont chez elle dans ce milieu naturel et vous devez vous conduire comme un invité respectueux. » Vachement respectueux même.

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Tenir votre chien en laisse permet d’éviter certains incidents.

Règles de bonne conduite

Quels comportements adopter pour que les rencontres entre ruminants et randonneurs se déroulent sans heurts ni malheur ? D’abord, ne pas toucher les veaux. Ensuite, tenir les chiens en laisse, car ces animaux de compagnie sont perçus par les bovins comme des super prédateurs à cause de leur ressemblance avec le loup. « Si les vaches en ont après le chien, il faut absolument le lâcher, l’éloigner de vous et aller ensuite l’attendre de l’autre côté de la clôture », conseille Etienne Junod. Et enfin, rester à distance des bêtes à cornes (même dans le cas où elles en sont dépourvues), en particulier des vaches mères et de leurs petits. Quitte à s’éloigner du sentier de randonnée si nécessaire. « Il est possible de passer furtivement au milieu d’un troupeau s’il n’y a pas d’autre option, précise le responsable romand du SPAA. A ce moment-là, on fait profil bas comme si on n’était pas là, on avance tranquillement en regardant ses chaussures… »

 

Comment savoir si notre présence dérange ? Tant que les bovins poursuivent leurs activités (brouter, dormir, ruminer, etc.) comme si de rien n’était, tout va bien. Il faut commencer à se méfier dès qu’ils relèvent la tête et vous observent. Là, il vaut mieux reculer un peu avant qu’ils ne se mettent en mouvement. Si leur attitude n’augure rien de bon, il est sage de s’écarter encore davantage. S’ils s’approchent un peu vite, vous pouvez poser votre sac ou une veste par terre, ça les occupera et vous permettra ainsi de vous replier tranquillement. Et s’ils écument, baissent la tête, grattent le sol et mugissent, il ne reste plus qu’à se mettre à l’abri… Parce qu’une bête de 600 kilos fonçant sur vous à 40 km/h, c’est du brutal !   

 

 

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Des panneaux verts indiquant la présence de vaches avec leurs veaux doivent inciter les randonneurs à ­redoubler de ­vigilance.

Campagnes à gogo

·      Les associations Suisse Rando et Vache mère Suisse ont mis récemment en ligne une vidéo d’animation intitulée « Pour des rencontres paisibles entre vaches et randonneurs ». En 90 secondes, ce clip rappelle les bons réflexes à adopter lorsqu’on croise des bovins. Lien : www.like-to-hike.ch

·      Le Service de prévention des accidents dans l’agriculture a monté une toute nouvelle exposition itinérante baptisée « Le sentier des vaches », qui se présente sous la forme d’un parcours didactique composé d’une quinzaine de panneaux. Elle sera installée cet été à deux endroits en Suisse romande : la buvette d’alpage les Croisettes dans la Vallée de Joux et le refuge de Mayen à Leysin. Objectif : faire mieux connaître aux visiteurs la vie, les mœurs et les humeurs des ruminants et favoriser ainsi une cohabitation harmonieuse entre bovins et humains.

·      Responsable romand du SPAA, Etienne Junod anime, à la demande, l’atelier « Dialogues avec un troupeau ». A la fois théorique et pratique, ce module a pour but de sensibiliser le grand public au comportement à adopter en présence de bétail. Infos et contact : etienne.junod@bul.ch

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