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Société

Le trend des boutiques nomades

Si les food-trucks attirent tous les regards, de nombreux autres types d’enseignes sur roues sillonnent également les routes. De petits nids aménagés avec soin, et destinés à émerveiller les clientes et clients qui y grimpent.

Texte Patricia Brambilla, Véronique Kipfer
Photos Christophe Chammartin
Date
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Pascale Tschopp, Fashion Caravan «Lucette»

Leur vision est désormais familière même aux moins citadins d’entre nous: multicolores ou très sobres, dédiés principalement à la gastronomie, mais aussi aux soins, à la mode ou encore aux fleurs, les «trucks» ont envahi les places et les parcs helvétiques. Après une explosion du nombre d’enseignes sur roues ouvertes en 2015, le phénomène a été freiné suite à la mise en place progressive d’une réglementation. Mais la flotte continue de croître lentement dans l’ensemble des cantons suisses.

L’avantage de posséder sa boutique itinérante? Des frais moindres, du fait qu’il n’y a pas de loyer à payer. On y gagne aussi une belle liberté, puisqu’il est possible de sillonner le pays en quête de nouveaux clients – tout en effectuant automatiquement sa publicité lors de ses déplacements. Et les commerçant (e)s ont ainsi la possibilité de créer leur petit espace juste à eux, aménagé et décoré sur mesure, et doté d’un capital sympathie qu’une boutique fixe aura plus de peine à gagner.

C’est ainsi que le public peut désormais profiter d’une variété toujours plus grande de boutiques nomades. Leur nombre exact? Personne ne le sait, car les «commerces itinérants» sont pris en compte dans leur totalité et englobent pop-up stores, stands de marché, food-trucks et autres enseignes. Par ailleurs, les autorisations de commerce itinérant sont accordées aux personnes et non aux véhicules, ce qui ne permet pas de différencier le mode d’exploitation. Seules solutions, dès lors, pour les découvrir: faire des recherches sur le web… et surtout, ouvrir l’œil!

«Très pratique, ma caravane se plie comme un origami»

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Pascale Tschopp, Fashion Caravan «Lucette»

 «J’ai créé tem pimenta, ma marque de vêtements éthiques, en 2015. Après deux collections pour lesquelles j'ai travaillé avec des ateliers certifiés équitables en Inde, j'ai décidé de changer de concept et de réaliser tout moi-même en Suisse, du patronage à la couture, en m'inscrivant dans le concept de la Slow Fashion. Il ne me manquait alors plus qu'un magasin pour vendre mes créations !

C’est en voyant les commerces itinérants d’alimentation que j’ai eu l’idée de lancer ma Fashion Caravan: je ne pouvais pas me permettre de payer un loyer, et étant donné que je travaille comme psychomotricienne en parallèle, cela me donnait la liberté de fixer les horaires qui m’arrangeaient. En 2017, j'ai été ravie quand j’ai découvert par hasard cette caravane pliante aux Grisons. Je l’ai entièrement rénovée avec une collaboratrice, en utilisant les barres des lits pour enfants pour faire des tringles, et la penderie originelle en tant que cabine d’essayage ! Elle est extrêmement pratique, car elle se plie comme un origami pour devenir une simple remorque. Ce modèle avait d’ailleurs gagné un prix de l’invention dans les années 70… il suscite toujours beaucoup de curiosité, car les gens se demandent comment je fais pour la conduire, étant donné qu’elle a deux roues d’un côté, et des pieds de l’autre!

Avec ses 10 m2 une fois dépliée, Lucette est un joli écrin pour présenter ma ONE Collection intemporelle. Je peux répondre à plus de demandes spécifiques des client-e-s, et j'adapte mes modèles aux différentes morphologies. Ce n'est pas du sur-mesure, mais presque !

J’aime confectionner des vêtements à la fois seyants et confortables, et je remarque que l’intérêt de la clientèle pour une mode éthique, durable et locale grandit chaque année. Etant donné la situation sanitaire, Lucette n’a pas bougé depuis un moment. J'espère qu'elle repartira en tournée dès que possible. En attendant, elle a planté ses pattes dans mon jardin à Sierre, où je reçois avec plaisir les client-e-s sur rendez-vous.»

«Il y a davantage de partage»

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Marion Vuilliomenet, Flower truck «Les créations de Marion»

«J’avais déjà vécu quelques années en nomade dans un van un peu vintage. Il y a deux ans, après la naissance de mon fils, j’ai pris un petit appart et j’ai décidé de me mettre à mon compte. Je me suis dit qu’un truck était moins risqué qu’un magasin. Je peux faire des horaires plus flexibles et prendre mon fils pour certaines livraisons. Et puis les fleurs se prêtent bien à la vente en bord de route. J’aime travailler avec des plantes suisses et de saison. J’y vais au feeling en me fournissant sur place auprès des horticulteurs de la Côte. En hiver, les gens préfèrent les plantes colorées et, en été, ils achètent plutôt des bouquets pastel.

Pour mon truck, un Renault Master, j’ai pas mal misé sur la déco. Je soigne la devanture, où j’accroche aussi mes bricolages en macramé et mes décorations en fleurs séchées. Tout a été fait sur mesure, les étagères, l’éclairage, la fenêtre à l’intérieur. Je voulais que ce soit cosy. Chargé avec le mobilier, il fait 3,2 tonnes! J’évite de rouler sur la neige… Je le bichonne, c’est mon entreprise Les créations de Marion. Mais j’ai aussi un atelier où je stocke le matériel, les fleurs, avec une vraie table d’emballage.

Je choisis mes emplacements en évitant de faire concurrence. Comme j’ai une carte de commerçante itinérante, je peux me parquer à différents endroits pour autant que les communes m’y autorisent. Je rayonne entre Arzier, Aubonne, Lully, certains marchés le week-end, je fais aussi les mariages, qui redémarrent bien cet été, et les livraisons à domicile.

J’ai des habitués qui reviennent chaque semaine. Ça rend service aux personnes âgées qui ne peuvent pas descendre en ville. C’est moi qui viens à elles! Certaines personnes passent juste pour me voir et discuter. Avec un truck, on est plus proche, il y a davantage de partage, ça dégage une image plus cool. Je suis la petite fleuriste au bord de la route.

Après deux ans, je tourne, mais ça dépend des mois. C’est plus facile à la fête des Mères ou à la Saint-Valentin qu’au creux de l’hiver. Le plus dur, c’est que je suis dépendante de la météo. Et puis c’est assez physique. Chaque jour, il faut tout charger, tout décharger, ça demande plus d’énergie que je ne pensais. Mais ça m’offre un quotidien varié, j’évite la routine !»

«Je voulais démocratiser le vin»

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Claire Mallet, estafette œnologique «Le wine trotter»

«Quand la mode des food trucks a commencé en Suisse, il n’y avait jamais à boire, si ce n’est des sodas ou des alcools ordinaires. Comme je travaille dans le commerce du vin depuis longtemps, j’ai eu l’idée d’acheter un camion en 2015. Je voulais un bar à vins qui roule et aille à la rencontre des gens, être marchande ambulante comme au temps des Romains! Je voulais aussi démocratiser le vin, offrir une dégustation décontractée, que les gens n’aient pas peur de goûter, même s’ils n’y connaissent rien.

L’avantage? On peut le déplacer partout et il n’y a pas d’horaires. Sur un marché ou une place de village, dans un festival de musique, on peut servir jusqu’à 23h. Et puis, il n’y a pas de loyer à payer, les charges sont moins importantes que pour un local. Même si je gagne peu en hiver, au moins ça ne me coûte rien.

Ma fourgonnette, une Renault Estafette de 1979, je l’ai toute retapée, pimpée en rouge et blanc, avec un bar à l’intérieur et un petit évier pour l’eau. Comme c’est un véhicule de collection, je reste dans un rayon de 50 km, entre Genève, Lausanne et Fribourg. Quand je vais plus loin, je dois la mettre sur un plateau. Il faut que je la ménage. C’est capricieux, la vieille mécanique, parfois je dois lui parler pour qu’elle démarre... Mais elle est mignonne, vintage, je ne l’échangerais pour rien au monde, en tout cas pas pour une jeunette !  

Je ne peux pas m’installer partout. En général, ce sont les communes qui m’invitent pour un musée éphémère dans un parc, un festival, des cinémas en plein air. Je fais aussi les fêtes privées au jardin, les ouvertures de chantier, les mariages, où je sers le vin d’honneur à la sortie de l’église.  Ce sont souvent de beaux lieux, où les gens sont sympas, ont envie de prendre le temps, de s’intéresser à ma fourgonnette et à l’origine des vins.

Dans les festivals, souvent, on ne sait pas ce qu’on boit… Moi j’ai envie d’offrir du choix, du Chardonnay, du Pinot gris, des bulles, montrer que l’on peut boire du vin de qualité, même si on est en claquettes et en short pour écouter du rock’n roll. Je sers du local en fonction du lieu où je me trouve. Il m’arrive aussi de servir des petits cocktails tout simples pour mettre en avant les mousseux suisses. Je n’ai pas un stock figé dans le temps, je ne fais que du sur mesure!  Et c’est rentable, oui, même si j’ai quand même gardé mon job de commerciale dans le vin pour les restaurateurs.

Le truck, c’est une belle liberté pour moi qui aime bouger. Au début, je pensais avoir plusieurs trotters, mais ce n’est pas une bonne idée. La camionnette et moi, on est devenues indissociables. Quand l’une ou l’autre manquent, les gens sont déçus.»

«Chaque matin, j’ai l’impression de partir en vacances»

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Chloé Chassot, Hair truck «Mademoiselle Petits Pois»

«Coiffeuse de métier, j’ai décidé de me mettre à mon compte, parce que j’en avais marre des patrons et des propriétaires. Avec mon bus, je me suis dit que je pourrais faire comme je voudrais ! Grâce à un financement participatif, j’ai pu lancer le premier Hair truck de Suisse en janvier 2019. Je voulais rester dans la région de la Sarine, et j’ai choisi trois lieux fixes, Attalens, Matran et Trey. Comme il me faut à chaque fois de l’électricité et un WC, je dois connaître ou m’arranger avec les voisins, qui me mettent un emplacement à disposition.

J’ai acheté un Renault Master, tôle sciée et cabine entièrement customisée posée sur le châssis. J’ai choisi la déco, un grand miroir, mon code couleur blanc et noir et les petits pois, parce que je suis toujours habillée comme ça. Ça fait vintage et j’aime tout ce qui est rockabilly ! Ça me permet de créer une atmosphère, de mettre de la musique, Elvis, Alanis Morissette ou une chanson choisie par les clients. C’est assez intimiste, on passe vraiment deux heures ensemble.

J’ai une clientèle féminine et masculine, puisque je fais aussi la barbe. L’essentiel se passe sur rendez-vous, parfois des passants avec leur chien me demandent s’ils peuvent venir pour une coupe. Je me sens plus libre avec un truck, c’est plus bohême, plus léger à gérer. Et les horaires sont plus flexibles, davantage compatibles avec une vie de famille.

Le premier hiver a été compliqué, les tuyaux ont gelé. Je me suis retrouvée à foehner la vanne pour la dégeler, il a fallu déneiger le toit… Et ça me prend une heure pour chauffer l’habitat. C’est plus facile en été. Mais je n’ai aucun regret, chaque matin quand je me mets en route, j’ai l’impression de partir en vacances !

Et puis, il y a encore plein de possibilités à développer. J’aimerais faire des ateliers de touch therapy, massage et serviettes chaudes pour reconstruire le cheveu, en collaboration avec une amie florathérapeute… et, pourquoi pas, m’installer en été sur le sable au bord de l’eau pour que ce soit vraiment différent d’un salon de coiffure. J’imagine aussi un jour un petit bus vintage pour aller sur les lieux de mariage, histoire que les invités puissent se refaire une petite vague ou rafraîchir leur make-up entre deux festivités.

«Je ne retournerais pour rien au monde en institut»

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Eve Mathez, Beauty Truck «La peau lisse»

«Cela fait déjà quelque temps que ma première cliente est entrée dans mon beauty truck… Avant, j’avais un institut de beauté à Montreux durant cinq ans, puis j’ai proposé mes services à domicile durant quelques années: j’avais presque tout dans la voiture, y compris ma table de massage, et c’était l’enfer!

Quand j’ai parlé de mon projet de truck à mon mari, il m’a simplement dit: «Tu as tout compris!» et je me suis lancée… J’ai eu la chance de me mettre à la recherche d’un camping-car avant le Covid, il y avait donc du choix. J’ai trouvé l’idéal à Martigny et dès que je suis entrée dedans, j’ai ressenti qu’il s’en dégageait une énergie incroyable. Je suis la première en Suisse à proposer un institut de beauté sur roues. Et pour ce faire, j’ai dû prendre en compte énormément de normes, comme par exemple le fait que tout doit être attaché, même mon siège.

Je circule de Vaud à Fribourg jusqu’à Aigle, et je vais en Valais une fois par mois. Mais j’évite généralement les grandes villes, où il y a assez de salons de beauté et où il est compliqué de se parquer. Je propose des massages, des épilations, ainsi que divers soins du visage et des pieds. Et j’ai décidé de proposer maintenant aussi des soins pour les enfants, comme des massages et des soins du visage. 

Le fait d’offrir mes services en itinérance a fait baisser l’âge de ma clientèle: j’ai maintenant beaucoup de mamans, qui viennent avec leur babyphone pendant que leur bébé fait la sieste. Et si celui-ci pleure, pas de souci : je bloque toujours plus de temps que prévu dans mon agenda, pour faire en sorte que chaque cliente se sente à l’aise. C’est ça que je trouve génial: je suis libre de faire comme je veux ! J’ai souvent des journées à rallonge, de 8h à 21h, mais paradoxalement, je ne suis pas stressée: je m’éclate dans ce que je fais, et j’ai une clientèle formidable! Je ne retournerais pour rien au monde en institut, même si j’ai oublié depuis longtemps ce que signifie le mot «vacances»…»

Ouvrir son propre truck

Ce n’est pas parce qu’on possède une boutique sur roues qu’on est totalement libre de ses mouvements: tout commerce itinérant exige une autorisation spécifique, personnelle et non transmissible, délivrée par chaque autorité cantonale compétente.

La demande doit être déposée soit dans le canton où le commerçant itinérant ou l'entreprise pour laquelle il travaille est inscrit au registre du commerce; soit dans le canton de domicile, si le commerçant itinérant ou l'entreprise pour laquelle il travaille n'est pas inscrit au registre du commerce; ou alors dans le canton où commence l'activité de commerce itinérant, pour les personnes séjournant à l'étranger ou y ayant leur domicile.

Pour l’obtenir, il faut présenter différents papiers, dont un extrait de registre du commerce établi il y a moins de 3 mois ou une pièce d’identité, un extrait de son casier judiciaire établi il y a moins d’un mois, et une attestation de domicile datant de moins d’un an. L’autorisation délivrée est ensuite valable partout en Suisse durant cinq ans (un an pour celles délivrées dans le Jura).

Le commerçant itinérant doit enfin obtenir l’autorisation du propriétaire du terrain sur lequel il souhaite parquer son truck: sur le domaine public, c’est la commune concernée qui la délivrera. Sur le domaine privé, c’est le propriétaire du terrain. Mais la commune peut ensuite fixer les lieux, heures et modalités, son territoire comprenant à la fois le domaine privé et le public. Il faudra ensuite s’acquitter de certains émoluments pour occuper le lieu.

Enfin, avant de se lancer sur les routes, il sera encore nécessaire de s’informer des diverses réglementations pouvant régir son type de commerce: hygiène, sécurisation et fixation des éléments intérieurs, etc.

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