Jakub Samochowiec, quel résultat de cette enquête vous a le plus surpris?
Que seuls 20% veulent acheter une voiture électrique et 10% aucune. Je me serais attendu à des valeurs encore plus élevées dans les deux groupes. J’ai également été surpris par les différences plutôt faibles entre les zones urbaines et rurales. Ce fossé tant invoqué n’est évident que dans le domaine des émissions de CO2, et même là, il est plutôt modeste.
Et en parlant de CO2, est-ce que vous vous attendiez à ce résultat?
L’intérêt relativement faible pour les émissions de CO2 est étonnant. La moitié des personnes interrogées disent ne pas y prêter attention lorsqu’elles consomment.
Comment expliquez-vous cette faible valeur?
Je vois notamment deux raisons possibles: alors qu’il existe différents labels pour le bien-être des animaux et un petit drapeau indiquant l’origine suisse, les émissions de CO2 ne disposent pas de tels supports visuels. Migros a créé ici un instrument avec le M-Check, mais selon l’enquête, seules quelques personnes le connaissent. Et même si sa notoriété était supérieure, on peut par exemple dire que l’on n’achète plus que des produits suisses, mais on ne peut pas dire que l’on n’émet plus de CO2. Peut-être moins, mais combien de moins? Il est très difficile pour le consommateur de s’y retrouver.
Et la deuxième raison?
J’imagine que de nombreuses personnes considèrent que leur capacité à influencer la question du CO2 est limitée. Et c’est vrai dans certains domaines. On ne peut pas choisir le chauffage au fioul de son appartement en location, tout comme on ne peut construire soi-même un réseau public de bornes de recharge électrique. Cependant, l’expression «empreinte carbone personnelle» fait croire que l’individu lui-même est responsable. Il y a ici une tension...
... et aussi des contradictions. Dans l’enquête, trois personnes sur quatre pensent que l’activité humaine contribue de manière significative au réchauffement de la planète.
Et le même nombre déclare que la durabilité est importante pour elles. Lorsqu’on leur demande ce qu’ils font vraiment, les gens donneront comme exemple le fait qu’en vacances ils ont pris le train au lieu de l’avion ou qu’ils ont essayé un produit végétarien l’autre jour. Mais nous considérons sans doute nos actions plus durables qu’elles ne le sont en réalité. Et nous pensons également sans doute faire mieux que nos voisins.
Comme pour les déchets alimentaires.
Là, on voit même le phénomène dans les chiffres. La grande -majorité des personnes interrogées estiment produire moins de déchets alimentaires que la moyenne, mais se trompent pour la plupart. Une autre raison de cette perception (trop) positive de soi est le désir d’avoir une image cohérente de soi. La plupart des personnes achètent un produit biologique, puis un steak venu d’Argentine. Lorsqu’on leur demande si elles adoptent des comportements d’achats plus ou moins écologiques, elles diront plutôt oui, pensant en premier lieu au produit biologique et non au steak. De cette façon, l’image cohérente de soi fonctionne et la contradiction désagréable a été évitée avec succès. En même temps, nous sommes tous contradictoires.
Quel besoin d’action voyez-vous dans les résultats?
La Suisse a des obligations internationales telles que l’accord de Paris sur le climat et il serait donc erroné de tout laisser à la charge de la consommatrice et du consommateur. Les entreprises et la politique sont appelées à créer des offres et des structures. De sorte que, par exemple, la voiture électrique représente vraiment l’option la plus intéressante par rapport à la voiture à essence.
Jakub Samochowiec est Senior Researcher à l’Institut Gottlieb Duttweiler. Ce docteur en psychologie sociale analyse les évolutions sociales, économiques et technologiques en se focalisant sur les grands axes de la décision, de l’âge, des médias et de la consommation.