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Futur

La réalité rattrape la fiction

Entre science et science-fiction, la frontière a toujours été floue, tant scientifiques et auteurs s’inspirent les uns des autres. Au point que romans et films sortent souvent du cadre de l’imaginaire pour anticiper bel et bien le monde de demain.

Texte Christine Werlé
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Photo: Getty Images

L’humain augmenté

Améliorer la condition humaine par la technologie, jusqu’à supprimer le vieillissement et la mort, c’est l’idée véhiculée par le transhumanisme, un courant de pensée née au début du XXe siècle et inspirée par la science-fiction. Plus qu’un fantasme, le transhumanisme est déjà une réalité pour beaucoup. «Nous sommes tous des humains augmentés grâce aux progrès de la médecine. Porter une prothèse de la hanche ou même simplement des lunettes, c’est de l’optimisation», nous dit Marc Atallah, directeur de la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains (VD) et maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne (UNIL). Aujourd’hui, les technologies visant à améliorer les capacités humaines se limitent au domaine médical et à l’industrie pharmaceutique. «On sait augmenter l’espérance de vie des malades, mais pas celle des non malades. On reste dans la réparation à l’heure actuelle», confirme Laurent Alexandre, chirurgien français, spécialiste du transhumanisme et président de DNA Vision, société belge spécialisée dans le séquençage de l’ADN. Ce qui n’empêche pas que des scientifiques – principalement dans la Silicon Valley – travaillent activement au dépassement de nos limites corporels et intellectuels. «On pense à Elon Musk et à sa startup Neuralink qui développe des implants cérébraux pour nous augmenter ou à Calico, la société de biotechnologies fondée par Google et dont les recherches ambitionnent de nous rendre immortels. Tout cela reste au stade de projets pour l’instant, il n’existe pas de technologies disponibles», poursuit Laurent Alexandre. À noter que le grand rêve du directeur de l’ingénierie chez Google, Ray Kurzweil, est d’arriver un jour à «uploader» la conscience humaine dans un ordinateur. 

Pour cogiter

Films: Robocop (1987, 2014), Avengers (2012, 2015, 2018, 2019), Lucy (2013), Transcendance (2014).

Romans: La Musique du Sang (Greg Bear, Éd. Gallimard, 1985), Le Vivant (Anna Starobinets, Éd. Mirobole, 2015).

L’intelligence artificielle

La plupart du temps, la science-fiction nous incite à nous méfier de l’intelligence artificielle (I.A), présentée comme menaçante ou sur le point de supplanter l’être humain. Dans la réalité, pas de quoi s’inquiéter, selon Frédéric Landragin, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris. «Ce qu’on appelle I.A, c’est un programme informatique. Et un programme informatique ne peut être menaçant que s’il est programmé pour être menaçant», affirme le chercheur français, ajoutant: «Les recherches actuelles vont dans le sens de créer des robots qui vont aider les humains dans leurs tâches quotidienne et non pas de les dépasser.» À l’image de Pepper,  robot humanoïde destiné à l’accueil, ou Nao, officiant comme cyberanimateur dans les EMS. Ces androïdes restent toutefois conçus pour des tâches bien ciblées et sont toujours dirigés par des humains. Pour Frédéric Landragin, on est encore loin de l’autonomie des machines. «Pour trois raisons: premièrement, le langage constitue une limite essentielle. Une machine à l’heure actuelle n’est pas capable de dialoguer, d’exprimer une opinion. Deuxièmement, un robot n’aura jamais de bon sens, contrairement à l’être humain qui est capable de trouver la bonne interprétation d’une phrase ambiguë. Troisièmement, la capacité d’abstraction fait défaut au robot. Il n’est pas capable d’extraire les informations importantes d’un document ou de reconnaître un éléphant sur un dessin. Pour arriver à ce résultat, il faudra lui montrer des milliers d’images d’éléphant.» En résumé, l’apprentissage d’une machine est plus coûteux en temps et en énergie que celui d’un humain. L’idée de créer des robots semblables aux humains, comme on en voit dans les films, a donc été abandonnée.

Pour cogiter

Films: Matrix (1999), Blade Runner (1982, 2017), A.I. Intelligence Artificielle (2001), Prometheus (2012), Ex Machina (2015).

Romans: Une machine comme moi (Ian McEwan, Éd. Gallimard, 2020), Klara et le Soleil (Kazuo Ishiguro, Éd. Gallimard, 2021) 

La cryogénisation

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Plonger un corps en état de mort clinique dans de l’azote liquide à une température de – 196° C dans le but de le ramener à la vie quand les progrès de la science le permettront, ce n’est plus de la science-fiction. Des entreprises dédiées à ce transport de patients à travers le temps fleurissent un peu partout sur la planète – et même en Suisse. À l'échelle mondiale, il existe environ 300 personnes «en suspension», pour un coût variant entre 30’000 et 250’000 dollars (sans compter les frais annexes), selon Gilles Cotton, porte-parole de la fondation European Biostasis Foundation (EBF) et lui-même en attente de pouvoir être cryogénisé en Suisse. «Certaines espèces animales exceptionnelles, en particuliers des vers microscopiques, peuvent être réveillées après avoir été congelées à très basse température. On sait faire de même avec certaines cellules humaines comme les globules blancs», explique André Langaney, généticien et professeur honoraire au Département Génétique et Évolution de l’Université de Genève. «À partir de là, certains ont imaginé que l’on pourrait faire de même avec des humains, soit des malades condamnés à qui l’on ferait attendre des découvertes permettant de les sauver, soit pour des voyages spatiaux de très longue durée.» Le hic, c’est qu’on ne sait pas pour l’heure comment réveiller les personnes cryogénisées, et il n’y a pas d’espoir d’y parvenir dans un délai raisonnable. «La cryogénisation n’est pas un sommeil, mais une mort! Les organes essentiels sont détruits, à commencer par le cerveau et ses très fragiles neurones. Ce ne serait pas un réveil, mais une résurrection, et ça, la science ne sait pas faire!», conclut André Langaney. La cryogénisation reste ainsi pour l’heure  un pari que l’on prendrait sur le futur.

Pour cogiter

Films: Alien (1979), L’Empire contre-attaque (1980), Forever Young (1992), Passengers (2016).
Roman: Zero K (Don DeLillo, Éd. Actes Sud, 2017).

Les univers parallèles

Quand on fait référence à notre univers, on parle en réalité de la partie de l’univers qu’on peut observer, et qui représente une très petite partie du cosmos. «Les univers parallèles seraient en quelque sorte les parties de l’espace-temps qui sont au-delà de notre univers observable», précise le Dr. Alexandre Belin, du Département de physique théorique du CERN, à Genève. Le meilleur moyen d’essayer de voir quelque chose qui pourrait ressembler à un univers parallèle est donc d’observer le ciel. «Malheureusement, on n’est pas près de faire une telle découverte, simplement parce que, par définition, on ne peut pas voir plus loin que notre univers observable, et par conséquent, on ne sait vraiment pas ce qui se passe au-delà. Mais ça ne veut pas dire que les univers parallèles n’existent pas, juste qu’on ne peut pas les voir», poursuit-il. D’autant plus que l’univers observable n’est pas une notion absolue: il dépend du temps. «Ceci est une conséquence de l’expansion de l’univers. La partie de l’univers à laquelle on avait accès il y a 1’000’000 d’années n’est pas la même qu’aujourd’hui», explique le scientifique. La science-fiction imagine souvent une réalité parallèle avec une autre Terre exactement comme la nôtre. Pour le Dr. Alexandre Belin, l’idée est peu réaliste: «Au-delà de notre univers observable, les lois de la physique pourraient être potentiellement différentes, voire très différentes, et cela pourrait fortement affecter le comportement de la matière.»

Pour cogiter

Films: Le Monde de Narnia (2005), Doctor Strange (2016), La Tour Sombre (2017).

Séries: Stargate SG1 (1997), Fringe (2008), Once upon a time (2011).

Le voyage dans le temps

D’après la théorie de la relativité d’Einstein, il est possible de voyager dans le futur: il suffit de se déplacer à très grande vitesse dans l’espace et de revenir ensuite sur Terre. Le temps ne s’écoule en effet pas de la même manière à tous les endroits de l’univers. Une théorie confirmée par des observations scientifiques et popularisée par le film «Interstellar» de Christopher Nolan. «C’est le paradoxe des jumeaux: prenons deux frères jumeaux et envoyons l’un des deux dans l’espace à bord d’une fusée qui va voyager pendant quatre ans et demi à une vitesse proche de la lumière (environ 300’000 km par seconde, ndlr). À son retour sur Terre, l’astronaute aura vieilli de quatre ans et demi alors que son frère resté à la maison aura vieilli de 100 ans», illustre Georges Meylan, professeur émérite d’astrophysique à l’EPFL à Lausanne. Ce phénomène étrange, peu intuitif, a été vérifié lors de multiples expériences qui ont comparé le temps mesuré sur Terre par une horloge atomique avec le temps mesuré par une autre horloge identique se déplaçant rapidement dans une navette spatiale en orbite autour de notre planète. À son retour sur Terre, l’horloge de la navette spatiale était retardée par rapport à l’autre. «Tout le monde ne le sait pas, mais les astronautes qui sont allés sur la Lune sont plus jeunes d’environ un milliardième de milliardième de milliardième de secondes», sourit Georges Meylan. Mais la vitesse n’est pas le seul élément qui impacte le temps, la gravité a le même effet. Ainsi, les grands corps célestes - qui ont une masse plus grande que le soleil - ralentissent aussi le temps. «Dans les environs d’une étoile à neutrons ou près de l’horizon des événements d’un trou noir, où le champ gravitationnel est énorme, la dilatation temporelle est également énorme», indique Georges Meylan. En revanche, voyager vers le passé est plus problématique. Le célèbre physicien britannique Stephen Hawking préfère dire que c’est impossible, car cela entraînerait le fameux paradoxe du grand-père: en remontant le temps, un voyageur pourrait accidentellement tuer son grand-père avant que celui-ci ait eu des enfants. Mais dans ce cas, comment a-t-il pu effectuer son voyage? La relativité en revanche dit que le voyage dans le passé n’est pas complètement exclu. «Il demanderait toutefois des circonstances très spéciales: il faudrait par exemple passer par des trous de ver, qui sont des raccourcis dans l’espace-temps, mais qui n’ont pas encore été découverts», nuance Marc Lachièze-Rey, astrophysicien et cosmologue au CNRS à Paris.

Pour cogiter

Films: La Planète des Singes (1968, 2001), Terminator (1984), Retour vers le futur (1985), Les Visiteurs (1993), Interstellar (2014).

Romans: La Machine à explorer le temps (H.G Wells, Éd. Gallimard, 1895), The Forever War (Joe Haldeman, Éd. Opta, 1976).

La téléportation quantique

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Une entité disparaît d’un point A et réapparaît un peu plus tard en un point B, sans avoir parcouru une trajectoire continue entre A et B: telle est la définition de la téléportation. «La différence entre la recherche scientifique actuelle et la science-fiction, c’est qu’il est impossible de téléporter de la matière. Par contre, on peut téléporter de l’information», explique Nicolas Brunner, professeur à l’Université de Genève (UNIGE) spécialisé dans la physique quantique. Des expériences réalisées à la Faculté des sciences de l’UNIGE ont permis de téléporter un photon (une particule élémentaire de la lumière). «Pour être exact, on peut téléporter la structure du photon - ce qui le distingue d’un autre photon. Pour ce faire, nous utilisons une propriété étonnante de la physique quantique qui s’appelle «l’intrication». On commence par générer deux photons dans un état «intriqué», de sorte que leurs propriétés physiques ne forment plus qu’un seul système, comme s’il n’y avait pas de distance entre les deux», poursuit Nicolas Brunner. «Ensuite, on les sépare en envoyant l’un au point de départ et l’autre au point d’arrivée. Et c’est là que la magie de l’intrication opère: si l’on agit sur l’un des photons, l’autre réagit de manière corrélée, vu qu’il ne forme qu’un seul système.» Mais deux photons intriqués ne suffisent pas à transporter de l’information. «Il faut faire intervenir un troisième photon, porteur d’une information quantique, qu’on fera interagir avec le premier photon. Le deuxième photon réagira comme s’il avait lui aussi interagi avec le troisième photon et récupérera l’information de ce dernier.» La téléportation quantique a donc bel et bien eu lieu: l’information est passée d’un photon à l’autre sans passer par une trajectoire continue entre A et B. «Pour l’instant, on arrive à le faire avec un seul photon ou un seul atome… Pour réussir à téléporter un corps humain, il faudrait téléporter des milliards et des milliards d’atomes. C’est irréaliste à l’heure actuelle! Mais la physique quantique ne dit pas que c’est impossible», affirme Nicolas Brunner. 

Pour cogiter

Films: La Mouche (1986), Stargate (1995), Le Prestige (2006).

Série: Stargate SG-1 (1997).

Romans: The Vanishing Girl (Laura Thalassa, Éd. Michel Lafon Poche, 2019), Jumper (Steven Gould, Éd. Mango, 2009). 

Voyager à la vitesse de la lumière

On touche ici aux limites de la théorie de la relativité d’Einstein: les lois de la physique actuelles ne permettent pas d’imaginer un humain se déplaçant à la vitesse de la lumière, qui se situe aux alentours de 300'000 km par seconde. «Pour vous donner une idée, il faudrait accélérer de 140 km toutes les secondes pendant 86 jours pour atteindre la vitesse de la lumière. Notre système cardio-vasculaire n’y tiendrait pas, de même que le vaisseau spatial à bord duquel nous aurions embarqué et qui se casserait», illustre Volker Gass, ingénieur et directeur de Space Innovation à l’EPFL à Lausanne. Mais cela ne veut pas dire que cela ne se fera pas un jour. «Dans un TGV lancé à 300 km/h, on ne subit pas l’accélération. On peut se lever et se promener dans le train sans subir de contrainte. Avant de savoir ça, on pensait que c’était impossible», rappelle Volker Gass. Selon lui, les progrès de la recherche sur l’antimatière pourraient ouvrir des possibilités. «Théoriquement, si l’on arrive à contrôler la masse négative, on pourrait décoller sans avoir besoin d’autant de carburant et aller plus vite.»    

Pour cogiter

Films: Star Wars (1977 - 2019), Star Trek (1966 - 2016).

 Le voyage sur Mars

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C’est assurément le concept de la science-fiction le plus près d’aboutir technologiquement parlant. «Nous irons sur Mars dans la décennie», prédit Volker Gass, ingénieur et directeur de Space Innovation à l’EPFL à Lausanne. Le voyage prendra de six à neuf mois, ce qui reste imaginable. Par contre, il sera beaucoup plus compliqué d’en revenir. «Le retour est le principal problème auquel se heurtent les ingénieurs actuellement, car il faudrait que la fusée ne subisse aucun dégât à l’atterrissage et contienne suffisamment de carburant», explique Volker Gass. Ensuite, pour que la vie soit possible sur la planète rouge, il faudrait amener de la Terre tout ce dont nous aurions besoin. «Nous devrions apporter de l’oxygène, du carburant, de l’eau, de la nourriture, des semis, etc. Du matériel également pour construire un pas de tir pour la fusée, un dôme ou des abris souterrains pour se protéger des radiations solaires», détaille l’ingénieur. De la terraformation en somme. Le côté positif est que la vie sur Mars nous demanderait moins d’efforts physiques que sur notre planète: «La gravité sur la planète rouge est trois fois plus faible que sur Terre. Le corps humain devrait pouvoir s’y adapter.»

Pour cogiter

Films: Planète rouge (2000), Mission to Mars (2000), John Carter (2012), Seul sur Mars (2015).

Romans: Le Cycle de Mars (Edgar Rice Burroughs, Éd. Omnibus, 1917 ), Chroniques martiennes (Ray Bradbury, Éd. Denoël, 1954 ).

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