François Courvoisier, pourquoi a-t-on si peur de l’échec?

Doté d’une superbe voix de contre-ténor, le chanteur lyrique et conseiller en communication lausannois s’est présenté ...
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Nous citons volontiers en exemple les managers qui réussissent et les produits qui cartonnent. Pourtant, comme l’explique François Courvoisier, professeur honoraire à la Haute École de gestion Arc à Neuchâtel, nous aurions aussi beaucoup à apprendre de nos échecs.
«Le succès, c’est la capacité d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme.» Cette citation de Winston Churchill résume bien la philosophie du professeur François Courvoisier.
François Courvoisier, pourquoi a-t-on si peur de l’échec?
Car l’échec induit souvent une perte de confiance en soi avec le risque à la clé d’être paralysé, de ne plus être capable de persévérer. Et aussi à cause du regard des autres, de leur jugement. Les gens peuvent parfois être très durs, très sévères envers les personnes qui subissent des échecs personnels ou professionnels. Ça rend ces passages-là particulièrement difficiles à vivre.
D’où vient cette crainte? De nos gènes, de notre éducation, de l’école?
Il y a sans doute une origine génétique, car l’on voit qu’il existe des personnes qui, dès l’enfance, sont plus introverties, plus timides, moins sûres d’elles que d’autres. Mais probablement que l’éducation, déjà dans la famille et ensuite à l’école, en apprentissage et en entreprise, joue aussi un rôle important. Oui, les deux facteurs – la génétique et l’éducation – sont déterminants.
À l’école, l’échec est toujours sanctionné. Notre système scolaire ne met-il pas trop en avant et donc en valeur la réussite?
C’est vrai. Le système de notation, quel qu’il soit, crée des clivages entre les meilleurs et les moins bons. Nos écoles restent assez élitistes même s’il existe maintenant des passerelles qui offrent la possibilité d’accéder à des études supérieures ultérieurement.
François Courvoisier, professeur honoraire à la Haute École de gestion Arc, à Neuchâtel.
Pourtant, nous savons tous qu’il est impossible de progresser sans faire de boulettes ou de faux pas, à l’image du bambin qui va tomber à maintes reprises avant de savoir marcher…
L’essai et l’erreur font partie de notre apprentissage. Et le rôle des parents, dans cet apprentissage de la marche par exemple, est fondamental. Pour qu’il puisse faire ses premiers pas, l’enfant a besoin à la fois de confiance en lui, d’un regard bienveillant et d’encouragement pour l’aider à persévérer. Pareil pour un adulte qui se lance dans un nouveau défi.
Et idem dans le monde de l’entreprise où il n’y a guère d’innovations sans ratés, de succès sans échecs, non?
Effectivement. Pour les innovations, j’aime bien l’image de l’entonnoir… On verse beaucoup d’idées dans sa partie supérieure. Ensuite, celles-ci sont filtrées, triées, testées. Et au final, il n’y en a qu’une ou deux qui sortent du bas de l’entonnoir, ce qui ne garantit pas encore leur succès!
James Dyson est un bon exemple de l’entrepreneur qui transforme ses ratages en réussite, lui qui s’est vanté d’avoir échoué 5126 fois avant d’inventer son fameux aspirateur sans sac!
Oui, il doit d’ailleurs détenir le record du monde de la persévérance. Son exemple montre qu’il faut s’avérer pugnace pour réussir, mais aussi être capable de se remettre en question. Comme les grands distributeurs ne croyaient pas à son produit, Dyson a dû imaginer un nouveau modèle d’affaires. Tout comme Earl Tupper, l’inventeur des Tupperwares, qui a développé un type de vente original: les fameuses réunions Tupperware à domicile.
Les entrepreneurs suisses, contrairement à James Dyson, ont plus de peine à admettre l’échec, comme si c’était un aveu de faiblesse, une maladie honteuse…
En Europe de manière générale, à l’exception peut-être des pays anglo-saxons, l’échec entrepreneurial est mal vu, car la plupart des gens pensent que la personne s’y est mal prise, qu’elle n’était pas compétente, qu’elle s’est plantée parce qu’elle manquait soit de punch, soit d’argent, ou pire encore parce qu’elle magouillait.
À l’inverse, aux États-Unis, les flops, les faillites même sont valorisés...
Prenez ce milliardaire américain qui n’a pas déclaré beaucoup d’argent aux impôts, qui traîne de nombreuses casseroles derrière lui et qui a quand même été président des États-Unis pendant quatre ans! Cet exemple est assez typique de la mentalité anglo-saxonne. Pour revenir au monde de l’entreprise, de nombreux investisseurs en Californie vont même jusqu’à refuser de financer une start-up si le porteur de projet n’a pas connu d’échecs auparavant! Oui, échouer commercialement laisse clairement plus de traces en Europe et en Suisse qu’aux USA.
1954 Naissance le 5 août à Neuchâtel.
1977 Licence en sciences économiques à l’Université de Neuchâtel.
1984 Doctorat en sciences économiques à l’Université de Neuchâtel.
1986 Brand Manager chez Kraft Jacobs Suchard (Mondelez).
1996 Marketing Manager à la Croix-Rouge suisse.
2000 Professeur à la HES-SO/Haute École de gestion Arc.
2007 Première édition du manuel Pratique du marketing.
2019 Professeur honoraire de la Haute École de gestion Arc.
2020 Publication de Célébrer l’échec!* avec l’entrepreneur Sedat Adiyaman.
Les mentalités évoluent-elles chez nous?
Un peu. Michel Jordi, l’une des figures de l’horlogerie helvétique, est connu autant pour ses réussites éclatantes que pour ses ratages retentissants. Eh bien maintenant, il enseigne les vertus de l’échec dans des hautes écoles, il fait profiter les étudiants de ses erreurs pour éviter qu’ils ne les reproduisent.
Dans notre pays, on reste tout de même encore très timoré, on préfère jouer la sécurité plutôt que prendre des risques…
Même si la Suisse est souvent citée comme pays très innovant, on prend dans notre pays moins de risques – surtout financiers – qu’ailleurs pour lancer des innovations. Tout cela par peur de l’échec, par peur du regard critique ou négatif de la communauté économique.
Cette frilosité helvétique explique-t-elle la lente et timide émergence des start-up sur notre territoire?
Sans doute. Des start-up, il y en a en Suisse, mais proportionnellement moins que dans les pays anglo-saxons. Quand nous demandons aux étudiants qui sortent de trois ans de bachelor en gestion d’entreprise quels sont leurs projets, comment ils voient leur avenir professionnel, seuls 5 à 10% d’entre eux au maximum répondent vouloir créer leur propre entreprise. Quant aux autres, dans leur grande majorité, ils souhaitent être engagés dans une firme existante, si possible prestigieuse. Cela montre bien qu’ils misent plutôt sur la sécurité que sur la prise de risques.
Il faut dire que se relever d’un échec n’est pas une partie de plaisir. Dans votre livre, vous comparez même cette épreuve au processus de deuil...
Comme dans un deuil, il faut accepter la perte, reconnaître la défaite, ne pas trop ruminer. Pour cela, il est bien de ne pas porter seul son fardeau, mais d’en parler, de partager cette douloureuse expérience avec ses proches, ses collaborateurs. Ensuite, il s’agit de tirer les leçons de son erreur et d’analyser la situation pour voir comment avancer, pour voir si on peut remettre l’ouvrage sur le métier en usant d’une autre approche.
Et surtout éviter de s’obstiner, de commettre une deuxième fois la même faute...
Si on fait un constat d’échec et que l’on se retrouve devant un mur infranchissable, il vaut mieux reculer, prendre une autre voie plutôt que s’obstiner en répétant la même erreur.
L’entrepreneur doit-il faire preuve de résilience?
Pour rebondir, pour parvenir à cette résilience dont parlent les psychologues, il est nécessaire de digérer son deuil et de donner un sens à cet événement. Cela passe par tout un travail d’introspection, de partage qui devrait au final amener l’entrepreneur à considérer l’échec comme un apprentissage, comme une opportunité.
La crise sanitaire actuelle, que l’on considère surtout comme un facteur d’échec, peut-elle aussi être vue comme une opportunité?
Évidemment pas pour les entreprises qui ont pris la pandémie en pleine figure comme les hôteliers, les restaurateurs et autres petits commerçants. Mais oui, il est aussi possible de voir cette crise comme une opportunité pour se réinventer, pour développer d’autres services, d’autres produits et d’autres modèles d’affaires comme l’ont d’ailleurs déjà fait de nombreux entrepreneurs.
En résumé, comme l’écrit Jean-Claude Biver dans l’introduction de votre ouvrage, «la plus grande erreur qu’on puisse faire c’est d’avoir peur de l’échec»!
Il ne faut pas avoir peur du risque, peur de l’échec. Parce que l’entreprise qui
n’innove pas par crainte d’échouer va vite être dépassée par des concurrents plus performants qu’elle. Comme le disait Winston Churchill: «Le succès, c’est la capacité d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme.»
À lire: «Célébrer l’échec! Transformez vos futurs fiascos en réussites», de François H. Courvoisier et Sedat Adiyaman. Commande en ligne sur www.think2make.ch/celebrer-lechec.