1. Le français ou les français?
Mathieu Avanzi, vous êtes connu pour vos cartes de géographie montrant l’usage de tel ou tel mot. Lors de vos recherches, quels résultats vous ont le plus marqué?
Je ne m’attendais pas à trouver des variations pour certains mots aussi communs que «crayon». On retrouve pourtant des «crayons à papier», «crayons de papier», «crayons gris», «crayons à mine», etc. selon les régions. Une autre surprise fut de découvrir que certains termes avaient un très grand nombre de variations lexicales, par exemple les merveilles de carnaval. De la Belgique au Maghreb, on les retrouve sous une multitude de noms.
Cela dépend. Nous avons mené deux enquêtes à cinq ans d’écart sur l’usage des termes «chocolatine» et «pain au chocolat». Il n’est ressorti aucune différence. Par contre, le diner pour le repas de midi a tendance à disparaître chez les moins de 25 ans en France. En Suisse cependant, on observe aucun changement dans le trio déjeuner/diner/souper.
Déjeuner vient du fait que l’on rompt le jeûne, il est donc normal que ce soit le premier repas de la journée. Pourtant, Français et Suisses ne seront jamais d’accord sur ce point.
Vous avez raison: les Suisses et les Belges devront s’aligner ou rester dans la résistance, car les Français ne sont pas près de changer. Cette évolution de l’usage est née à Paris au début du XIXe siècle où l’on avait pris l’habitude de déjeuner toujours plus tard, soit en fin de matinée. Au final, le déjeuner est devenu le repas de
la mi-journée et le dîner a été repoussé au soir. Comme souvent, les régions ont imité Paris, mais les périphéries, comme la Suisse, n’ont pas suivi.
Pourquoi?
Il y a d’abord l’éloignement de Paris. Avec les kilomètres, l’influence de la capitale s’essouffle. Et puis, les frontières politiques représentent des obstacles. En Suisse ou en Belgique, vous aurez d’autres médias, d’autres capitales, d’autres systèmes éducatifs qui font que l’emploi de tel mot s’en trouve favorisé. Cela explique par exemple le maintien de mots comme «septante» ou «nonante».
Peut-on donc dire qu’il existe plusieurs français?
Non, il existe un français avec des réalisations différentes selon les endroits. Cette reconnaissance est assez nouvelle. Jusqu’à peu, il y avait l’idée que la langue était unique, centrale. Cela vient de la Révolution française qui a voulu unifier le pays en supprimant les dialectes et les langues régionales. Aujourd’hui, le français s’ouvre. Et Le Robert fait entrer chaque année des mots régionaux, comme l’helvétisme «bobet». Cela devient même un argument marketing qui est mis en avant dans les communiqués de presse.