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Test culinaire

De la viande, oui mais sans animal

En Israël, plusieurs start-up travaillent à développer de la viande à partir d’une seule cellule. Migros a investi dans deux d’entre elles. Lors d’une visite à Tel-Aviv, des experts ont testé des plats contenant du poulet de culture.

Texte Ralf Kaminski
Photos Daniel Grieser
Date
Diesen Burger aus kultiviertem Poulet gab es beim Testessen in Tel Aviv.

Ce burger à base de viande de culture de poulet est élaboré à Tel-Aviv.

On la croirait vraie. Et au fond, c’est le cas. Sauf que la viande ne provient pas d’un poulet élevé dans une ferme d’engraissement, mais elle a été cultivée dans un grand récipient métallique, dans une solution nutritive à base de plantes, à partir d’une seule cellule d’un poulet.

Nous sommes dans un quartier périphérique de la métropole israélienne de Tel-Aviv, chez SuperMeat, une start-up qui travaille depuis 2015 à la viande de culture et qui s’est spécialisée dans la volaille. La petite délégation suisse de Migros est assise dans le restaurant test de la start-up, avec une vue directe sur le site où la viande est produite et ensuite préparée pour nous dans la cuisine ouverte.

Il y a une petite saucisse, un rouleau de printemps et un burger, le tout joliment présenté avec des accompagnements comme dans un véritable restaurant. Trois professionnels goûtent à cette forme inédite de viande: Rolf Hiltl, propriétaire du Hiltl, le plus ancien restaurant végétarien du monde; Nicole Hasler, économiste et conseillère en innovation de Zurich; et Daniel Tinembart, cuisinier et auteur de recettes pour Migusto. Pour tous les trois, c’est la première fois. Ils sont donc particulièrement curieux.

La réaction et le verdict des dégustateurs (vidéo: Jana Figliuolo)

Le constat est unanime: s’ils n’avaient avaient pas su qu’il ne s’agissait pas de viande produite de manière classique, ils ne l’auraient jamais imaginé. «J’ai ouvert le burger et j’ai décortiqué et goûté la viande sous la panure, explique Rolf Hiltl. La structure, les fibres… ça a exactement le goût et la texture du poulet normal.»

Daniel Tinembart pense que l’on pourrait être un peu plus créatif dans la recette, mais qu’il n’y a rien à redire sur la viande elle-même. Nicole Hasler, amatrice de viande, résume ainsi la situation: «Ce n’est pas comme de la viande, c’est de la viande. C’est aussi simple que cela.»

Migros se prépare

Matthew Robin, directeur d’ELSA-Mifroma est lui aussi impressionné. Il est à l’origine de l’engagement de Migros dans ce domaine, auquel beaucoup prédisent un grand avenir. «Il faudra encore quelques années pour que les autorités règlent toutes les questions. Mais ces produits seront un jour disponibles dans les rayons réfrigérés de Migros», dit-il.

Et l’industrie Migros pourrait même bien les fabriquer elle-même. Pour Matthew Robin, l’un des défis réside dans le fait que les aliments sont très fortement chargés en émotions. «Il s’agira donc de faire naître des sentiments positifs pour cette nouvelle forme de viande. Ce n’est qu’alors qu’elle sera largement acceptée.»  

Ido Savir se réjouit visiblement de la réaction de ses invités. Le cofondateur et directeur de SuperMeat, âgé de seulement 44 ans, a de grandes ambitions. Actuellement, le projet d’une énorme usine qui devrait produire plusieurs centaines de tonnes de viande de poulet par an de cette manière est en cours d’élaboration aux États-Unis.

«La construction devrait encore commencer en 2022 et durer environ un an, d’ici là nous comptons également sur l’approbation des autorités américaines.» Il espère que la production de viande pourra démarrer au cours du second semestre 2023. En Europe, cela prendra plus de temps: «Nous attendons l’autorisation de l’UE environ un an après les États-Unis.»

Die drei Profis testen die Gerichte.

Rolf Hiltl, Nicole Hasler et Daniel Tinembart ont testé le poulet de culture de la start-up SuperMeat.

Une viande convaincante et prometteuse

Auriez-vous pensé que c’était de la viande de culture si vous ne le saviez pas?

Rolf Hiltl: Non.

Daniel Tinembart: Moi non plus.

Nicole Hasler: En ce qui concerne la saucisse, je me suis demandé si on ne pourrait pas arriver au même résultat avec une recette à base de plantes.

R.H.: C’est possible, mais ce n’est pas simple. La texture ici est justement déjà bonne: quand on la coupe, elle craque un peu comme une saucisse de Vienne. Ce phénomène est difficile à ­obtenir avec des plantes.

N.H.: Bien sûr, mais cela évolue et s’améliore constamment.

 

Et les rouleaux de printemps?

D.T.: Ils étaient très bien faits et il a d’abord fallu isoler le poulet. Mais une fois que cela a été fait, il avait le goût qu’il fallait.

R.H.: C’est ce que j’ai trouvé ­aussi, mais la texture ne m’a pas encore tout à fait convaincu, elle était un peu trop floconneuse et se désagrégeait trop facilement.

N.H.: Ce qui m’a plu, c’est ­justement que les morceaux de poulet ne collaient pas trop entre eux.

 

Le burger était-il le point fort?

D.T.: C’est clair, il était vraiment convaincant.

R.H.: Oui, tip-top. La viande avait la bonne consistance et la bonne texture, le goût était bon. De mon point de vue, il n’y aurait pas eu besoin de panure, et au lieu que la viande soit frite, ­j’aurais préféré qu’elle soit ­grillée. Mais le produit dans son ensemble est convaincant.

N.H.: Je suis d’accord. D’autant plus que la viande de culture ­devrait être plus savoureuse sur le gril que les substituts à base de plantes, qui ne peuvent imiter la réaction de Maillard, laquelle donne à la viande son arôme fumé ­typique quand elle est grillée.

R.H.: Et aucun des produits testés n’a présenté cet arrière-goût que l’on trouve parfois dans les produits à base de plantes.

N.H.: Ce n’est pas comme de la viande, c’est de la viande! C’est aussi simple que cela. 

 

Où voyez-vous un potentiel d’amélioration?

D.T.: Surtout au niveau de la ­recette. J’aurais ajouté d’autres ingrédients à la saucisse, des herbes et autres, qui apportent un peu de couleur et de goût. Sous cette forme, je pense que ce n’est pas un produit qui serait bien accueilli en Suisse.

N.H.: Les préférences en matière de saucisses sont très différentes, en Suisse on préfère les saucisses de Vienne un peu croquantes…

R.H.: … ou une saucisse grillée. Celle-ci m’a plutôt fait penser à l’un de ces hot-dogs bon marché des États-Unis. Mais malgré le goût, la texture de la viande est bonne, il n’y a rien à améliorer.

N.H.: Je vois ici un grand potentiel de collaboration avec les bouchers. Ils peuvent transformer le produit de base en ­saucisses comme les clients les aiment. 

 

La fabrication artificielle vous ­inquiète-t-elle? Ou bien a-t-elle de l’avenir?

N.H.: Ces start-up ont encore un long chemin à parcourir. Outre l’acceptation, il s’agit surtout de rendre les produits abordables au niveau du prix.

D.T.: Je pense que cela repré­-sentera à l’avenir une part significative de la consommation de viande.

R.H.: J’ai longtemps été sceptique. Mais au vu de ce que j’ai entendu ici et de ce que j’ai goûté, je pense qu’elle est promise à un bel avenir. Surtout si l’on considère le faible pourcentage de la population mondiale qui renonce à la viande.

D.T.: Il est également intéressant de voir comment les végétariens réagiront à ce produit. Il s’agit de viande, mais comme aucun animal n’est mort pour la produire, un végétarien pourrait en principe en manger.

R.H.: Je suis d’accord. Vu le ­procédé de fabrication, il s’agit en fait d’un produit végétarien.

 

Et pensez-vous que les ­consommateurs accepteront cette viande?

R.H.: Les consommateurs ­l’accepteront probablement avec le temps, c’est aussi une question d’habitude, comme pour beaucoup d’aliments.

N.H.: On devrait assister à une compétition entre les substituts de viande à base de plantes et la viande de culture. Et je ne suis pas sûre de savoir qui rempor­tera alors la course.

R.H.: La majorité des gens mangent de la viande. Par conséquent, la viande de culture devrait avoir une longueur d’avance à long terme.

 

Si de tels produits apparaissent chez nous dans quelques années, les consommerez-vous?

N.H.: Certainement. Je soutiens cette méthode de production, car, pour le poulet en particulier, la branche est confrontée au défi que représentent les consommateurs occidentaux qui ne veulent manger presque plus que de la viande de poitrine. Alors dans ce cas, pourquoi produire l’animal entier?

D.T.: Oui, on peut certainement faire beaucoup de bien en ­passant à la viande de culture.

 

La viande de culture sera-t-elle un jour disponible dans les ­restaurants Hiltl?

R.H.: Personnellement, je dirais que oui. Mais nous devons décider de cela en équipe. De mon point de vue, le produit est végétarien, mais ce que nous servons dans les restaurants est désormais à 80% végétalien. Si nous conservons l’offre végétarienne, la viande de culture y trouverait, selon moi, toute sa place.  

Et pourquoi la viande de poulet? «La consommation de cette viande explose à l’échelle mondiale. Elle est consommée dans le monde entier et sous de nombreuses formes», explique Ido Savir. De plus, la production industrielle de poulet est problématique. Cette viande est presque toujours contaminée par des agents pathogènes, d’où l’utilisation importante d’antibiotiques. «Nous pouvons faire énormément en agissant à ce niveau. Pour les animaux, notre propre santé et celle de la planète.» D’une manière générale, la demande mondiale de viande va environ doubler au cours des prochaines décennies, explique Ido Savir. Or, la production classique ne peut guère y faire face à elle seule. «La viande de culture est donc un soutien important.»

Moins d’énergie, d’eau, de terre

Bien que sa production nécessite beaucoup d’énergie, cette viande de culture est plus durable que l’élevage industriel de masse: «Les premières études montrent que nous pouvons produire avec une efficacité énergétique d’environ 50%, explique-t-il. En outre, nous avons besoin de 99% de terres en moins, de beaucoup moins d’eau, et nous ne produisons que ce qui est réellement consommé. C’est nettement plus efficace et donc plus durable.»

In diesen Anlagen von SuperMeat entsteht kultiviertes Poulet.

Aperçu de la production de viande de poulet de culture chez SuperMeat.

Selon Ido Savir, on trouvera un jour dans le monde entier de petites unités de production qui élaboreront ainsi de la viande pour la population locale. «Cela fonctionnerait aussi bien en Afrique centrale que dans l’Arctique, contrairement à la production industrielle classique de viande.»

En 2023 sur le marché américain

Même enthousiasme chez Didier Toubia, cofondateur et directeur d’Aleph Farms, une autre start-up de Tel-Aviv dans laquelle Migros a investi. Aleph Farms se concentre sur les steaks de bœuf, un produit nettement plus exigeant, car la structure complexe et l’épaisseur des muscles sont plus difficiles à reproduire. Mais il existe désormais une solution qui offre des résultats apparemment satisfaisants. La délégation n’a pas pu s’en rendre compte par elle-même, mais Didier Toubia a laissé entendre qu’Aleph Farms allait bientôt tester son produit à plus grande échelle. Lui aussi veut être commercialisé aux États-Unis en 2023. 

Didier Toubia, Mitgründer von Aleph Farms, möchte mit den Bauern zusammenarbeiten.

Didier Toubia, cofondateur et directeur d’Aleph Farms souhaite collaborer avec les agriculteurs.

«Nous allons commencer avec des restaurants renommés, puis avec des entreprises qui fournissent des restaurants et des cantines.» Le commerce de détail viendra ensuite. Cela s’explique aussi par le fait que les steaks de culture ne seront produits qu’en quantités limitées au début et seront donc nettement plus chers que les steaks conventionnels. «Nous prévoyons d’en produire environ 10 tonnes par an dans nos sites de production pilotes», explique Didier Toubia.

Mais avec des sites plus grands, la quantité augmente rapidement. Et la fabrication est là aussi beaucoup plus efficace. Il faut trois à quatre semaines pour qu’un steak se développe à partir d’une cellule dans une structure en réseau à base de plantes. Pour un bœuf élevé dans une prairie, cela prend deux à trois ans. Mais Didier Toubia souligne qu’il ne veut pas remplacer les agriculteurs. «Je souhaite que nous collaborions. L’agriculture d’élevage continuera à jouer un rôle important dans la culture des sols et des paysages. Mais nous devons réduire le nombre d’animaux dans notre système alimentaire.»

Ido Savir, Mitgründer von SuperMeat, preist die Kooperation mit der Migros.

Ido Savir, cofondateur et directeur de SuperMeat, salue la coopération avec Migros.

Didier Toubia et Ido Savir soulignent l’importance de leur coopération avec Migros. «L’entreprise est très ouverte et innovante, de plus la Suisse dispose d’une infrastructure formidable, d’un grand savoir-faire et d’une culture gastronomique variée», explique Didier Toubia. Ido Savir ajoute que les entreprises se complètent parfaitement: «Migros profite de nos compétences technologiques, nous bénéficions de leur grande expérience dans le domaine de la consommation et de leurs connaissances en matière de relations avec les autorités de régulation.» Et si son produit répond aux exigences de qualité de la clientèle Migros, il fonctionnera dans le monde entier.

L’intérêt est là

Si tout se passe comme prévu, les steaks d’Aleph Farms pourraient être disponibles dans les rayons de Migros d’ici à cinq ans environ, au prix d’un morceau de viande conventionnelle de qualité supérieure, estime son directeur. Le cofondateur de SuperMeat espère lui que ses poulets arriveront plus tôt. Mais ce type de viande sera-t-il bien reçu des consommateurs? Les deux CEO en sont convaincus et s’appuient sur des données issues d’études qui vont dans ce sens. «Les jeunes en particulier sont intéressés et ouverts», estime Didier Toubia. 

SuperMeat s’est récemment rendu à Tel-Aviv avec un food truck et a proposé deux burgers au poulet, l’un conventionnel et l’autre de culture – les gens pouvaient choisir entre l’un des deux. 70% ont opté pour celui au poulet de culture. «Par curiosité, mais aussi pour des raisons éthiques, explique Ido Savir. Le potentiel est là. Et les réactions sont positives.»

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