1. Comment expliquez-vous que la taxidermie n’a jamais été aussi vivante?
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Raphaël Codourey est l’un des rares empailleurs en activité en Suisse romande. Dans son atelier de Corminboeuf (FR), il raconte les coulisses de sa profession. À laquelle l’émergence d’une clientèle rajeunie donne un second souffle.
Raphaël Codourey exerce sa passion depuis une cinquantaine d'années.
1. Comment expliquez-vous que la taxidermie n’a jamais été aussi vivante?
On observe surtout l’arrivée d’un nouveau public, qui nous dit chercher autre chose que des objets en plastique pour leur décoration. Les corneilles, notamment, sont très populaires. Les chimères sont aussi appréciées; ce sont des créations dans lesquelles nous mêlons plusieurs animaux – comme un crâne d’antilope habillé de plumes de perroquet. Ça permet de valoriser et d’encourager le côté artistique de notre travail.
2. L’animal empaillé s’émancipe ainsi du cliché du trophée de chasse?
On observe une diversification. Mais les chasseurs constituent toujours la moitié de notre clientèle environ. Les institutions culturelles entre 30 et 40%. Le reste se partage entre les demandes de particuliers et nos créations.
3. La profession est-elle réellement si dynamique?
Nous avons la chance d’avoir un carnet de commandes plein jusqu’à l’été prochain. En Suisse, nous sommes une trentaine au sein l’association faîtière, mais seulement cinq ou six en Suisse romande. Et seuls trois apprentis sont actuellement en formation. Il n’existe pas de CFC. Alors, ils doivent aller prendre des cours à l’étranger et c’est compliqué. Mon apprenti, Jérémy, passe un certificat à Vienne (A).
4. Travailler avec la mort peut être un repoussoir?
J’y vois surtout la possibilité de donner une deuxième vie à ces animaux. Et puis, il y a une vraie dimension artisanale dans ce que nous faisons. Nous sommes tour à tour bouchers, artistes peintres, couturiers, ébénistes et j’en passe. On apprend tous les jours. Pour Jérémy, c’est l’amour des animaux et le côté créatif de la profession qui l’ont attiré. Une véritable vocation.
5. Boucher, vraiment?
Vider l’animal fait en effet partie de notre travail. C’est le côté moins rigolo. La matière est ensuite incinérée. Après nous nettoyons le squelette et la peau. Peau que nous tannons puis que nous venons appliquer sur le squelette ou la forme que nous avons préparée. Nous utilisons encore de la paille, mais surtout de la mousse en plastique, ou encore du plâtre et du fil de fer.
6. Comment trouvez-vous votre matière première?
On nous l’amène. Que ce soit le chamois abattu à la chasse ou l’oiseau que l’on a retrouvé mort devant sa fenêtre. Et puis il y a les spécimens qui sont tués sur la route. Actuellement, nous travaillons sur un jeune lynx renversé par une voiture. Il s’agit d’une commande du Service cantonal de la faune.
7. Les animaux n’arrivent pas toujours en bon état?
On dit entre nous qu’on fait de la chirurgie esthétique. On rajoute des poils pour boucher un trou, on raccourcit un morceau de peau pour cacher une blessure. Mais on ne peut pas faire de miracle. Si l’animal est trop abîmé, ou si l’état de putréfaction est trop avancé, on ne peut rien faire.
8. Certains vous amènent leurs animaux de compagnie?
On essaie vraiment de les en dissuader. C’est très compliqué de produire un rendu qui corresponde au souvenir que garde le propriétaire de l’animal. Et puis faire en sorte de donner une pose un peu dynamique à un chien âgé n’a pas beaucoup de sens. Dans ces cas-là, on enroule l’animal sur lui-même, comme il devait être au repos dans son panier.
9. Il y a des animaux que vous vous interdisez de traiter?
Les espèces protégées qui auraient été braconnées. Nous faisons très attention de vérifier la provenance des spécimens que nous recevons, notamment celles exotiques. Et nous refusons le travail si nous avons un doute.
10. Et les humains?
Personnellement c’est ma limite. Mais ce n’est pas non plus un tabou. J’ai un ancien apprenti qui a quitté la taxidermie et qui travaille aujourd’hui à la conservation des morts.
11. Le travail qui vous a le plus marqué?
Un particulier voulait empailler un crocodile de 4,8 mètres. Ça nous a demandé 2 mois et demi de travail. Sinon, les demandes d’artistes sont souvent les plus saugrenues. Actuellement, j’ai une commande du Grand Théâtre de Genève pour un cygne dont le cou et les ailes doivent être mobiles. C’est un travail complexe, notamment pour trouver l’animal. Mais j’aime les défis.
Chez les Codourey, on empaille de père en fils. Raphaël a embrassé la carrière de naturaliste à 16 ans. Après un stage dans un musée fribourgeois, il a rejoint l’atelier fondé par son père en 1936. Puis il y a formé son fils. Toujours à la recherche de nouvelles manières de valoriser sa profession, Raphaël a ouvert fin 2018 un cabinet de curiosités dans le centre de Fribourg. Un carton.