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Métier

9 questions à un parfumeur

Daniel André est ce qu’on appelle un nez. Créateur de parfums de renom pour les plus grandes marques de luxe, il oeuvre en toute discrétion dans son atelier genevois.

Texte Thomas Piffaretti
Photos Christophe Chammartin
Date
DANIEL ANDRE, PARFUMEUR, GENEVE, décembre 2022

Daniel André connaît par coeur les quelque 1200 odeurs qu'il a disposition dans son atelier. 

Comment se rend-on compte qu’on a les capacités pour exercer votre métier?

Je suis très sensible aux émotions provoquées par toutes formes d’arts. J’ai un oeil et une oreille qui ne sont pas mauvais. Mais je ne les ai pas développés. Par contre, j’ai toujours su que j’avais de vraies capacités olfactives. Je sens tout, tout le temps. J’aime les odeurs de la nature, des objets, des corps. Mais après, il faut encore savoir qu’en faire, y ajouter de la créativité pour imaginer un parfum digne de ce nom. Donc, entre savoir qu’on peut le faire et en faire son métier, il fallait des certitudes. Une visite chez un parfumeur pendant mes études m’en a convaincu.

C’est un don qui s’entretient?

J’entraîne mon nez tous les jours avec un test olfactif. Je prends cinq flacons au hasard parmi les plus de 1200 odeurs à disposition dans notre atelier et je vais les sentir. Régulièrement, je dilue l’échantillon pour savoir si j’ai la faculté de le reconnaître, même moins concentré. Il faut alors focaliser son esprit d’une certaine manière pour capter l’odeur. L’entraînement me permet d’avoir une grande confiance en mon outil de travail, mon nez.

Pour qui travaillez-vous?

Je collabore essentiellement avec des grands groupes. En tant que parfumeur de niche, je dois être le plus créatif possible, pour proposer quelque chose de différent des succès actuels du marché. C’est ce que j’aime dans ce métier, exprimer ma créativité.

Et pour des particuliers?

C’est un exercice très complexe. La personne a une idée précise de ce qu’elle désire. Alors on doit apprendre à la connaître pour s’approcher de la fragrance qu’elle s’est imaginée. Le parfum doit correspondre à son caractère et à sa peau. On crée un rapport très intime; on navigue à la limite de la psychanalyse.

Comment trouvez-vous vos matières premières?

Elles proviennent principalement des entreprises pour lesquelles je travaille. Parfois, j’ai la chance de pouvoir sélectionner certaines matières premières naturelles, comme des roses d’exception, directement chez le producteur. Pour des produits rares, comme l’ambre gris – qui est une déjection du cachalot prélevée sans toucher l’animal –, j’ai un réseau de chasseurs d’odeurs avec lesquels je collabore depuis très longtemps. Une autre matière première est récoltée en curetant la région anale de la civette pour récupérer les sécrétions de ses glandes. Une odeur utilisée aujourd’hui essentiellement pour les pays du Moyen Orient.

Qu’est-ce qui distingue un bon d’un mauvais parfum?

Il faut que chaque élément du parfum soit positionné de manière correcte. Que chaque note ne sonne ni faux ni juste, mais qu’elle soit à sa place pour créer un rayonnement optimal. Le parfum doit avoir du caractère et un sillage; il faut qu’il crée une émotion et qu’on s’en souvienne.

La parfumerie est donc une affaire d’émotions?

La mémoire olfactive a un énorme pouvoir. Avec une odeur, on peut retomber en enfance, se remémorer un souvenir heureux, ou mélancolique. Le parfum crée des émotions. Il y a une vraie dimension sociologique dans la parfumerie. Après les attentats du 11 septembre 2001, par exemple, on a voulu redonner aux gens l’envie de sourire. On a développé une collection aux tons plus joyeux que précédemment, avec une campagne de promotion où les mannequins souriaient. La gamme a été un succès.

Choisir le bon parfum pour la bonne occasion confère donc un certain pouvoir?

On peut jouer avec un parfum. On peut se démarquer facilement avec une odeur. Vous pouvez vous montrer frais et dynamique en optant pour un parfum sportif ou séducteur pour une soirée en choisissant quelque chose de plus mystérieux. Oui, le parfum donne un certain pouvoir. À condition de bien le choisir.

Vous-même, portez-vous un parfum?

Non, pas dans mon quotidien. Ça pourrait venir perturber ce que je sens. En revanche, si j’ai envie de provoquer une réaction particulière dans une occasion choisie, je sélectionne un parfum en conséquence. Et j’arrive souvent au résultat souhaité.

Bio Express

Après des études de chimie, Daniel André rejoint Givaudan, entreprise genevoise et spécialiste mondial des arômes et parfums. C’est là qu’il parfait sa formation et qu’il fait de son nez son outil de travail. Indépendant depuis vingt-cinq ans, il collabore avec les plus grandes maisons de luxe, crée des best-sellers pour elles, mais n’apparaît jamais officiellement comme leur auteur. Une discrétion, contractuelle, qui lui assure la liberté dont il a besoin pour s’exprimer pleinement.

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