Navigation

Métier

10 questions à une cascadeuse

Au service des acteurs qu’ils doublent pour les cascades, ces spécialistes de scènes d’action sont censés être invisibles. Les femmes sont encore rares dans la profession. Estelle Piget est l’une d’elles.

Texte Ariane Gigon 
Date
370947

Estelle Piget aîme les chorégraphies aériennes et s'entraîne en conséquence. (Photo: DR)

1. La cascade au cinéma est souvent synonyme de scènes de combat et de chutes spectaculaires. Mais souvent, les cascadeurs et cascadeuses se font tabasser. Pourquoi? 

Il est vrai que prendre des coups et mourir fréquemment fait partie du métier! Mais j’ai aussi eu des commandes pour interpréter des femmes qui étaient les donneuses de baffes, ça fait plaisir! J'ai aussi eu la chance d'être au cœur de l'action, avec de grands combats chorégraphiés, ou des actions très chouettes qui me font chuter par-dessus des rambardes, dans des cartons. J’aime aussi beaucoup le câblage – qui permet des figures plus aériennes avec des harnais. Pour les accidents de voiture avec percussion de personnes, par exemple, les effets spéciaux ont énormément progressé. Il n’est pas toujours obligatoire de jouer une vraie percussion, même si c’est encore ce qui est le plus couramment réalisé en France. 

2. Vous êtes souvent blessée?

Jusqu'à maintenant, j'ai eu de la chance et je ne l’ai pas été. On se fait des hématomes pendant les entraînements et  les répétitions car c’est à ce moment-là qu'on essaye de nouvelles choses. Ensuite, normalement, sur le tournage, la cascade est réglée, tout est paramétré. Ce n'est pas forcément là qu’il y a le plus de risques.  Parfois, nos collègues de travail nous demandent, après une prise de vue, si nous allons bien, car la chute était très réaliste. C’est la preuve que le travail est réussi

3. Est-ce que vous êtes la doublure d’une actrice en particulier?

C’est possible, mais plutôt rare, ne serait-ce que pour des questions de disponibilité. Il est fréquent que plusieurs cascadeurs doublent un seul acteur ou actrice, au fil du tournage. Mais, dans une série qui va sortir prochainement («Cannes Confidential», avec Jean-Hugues Anglade, ndlr), je double Lucie Lucas. Nous avons tourné ensemble pendant plusieurs mois et avons pu créer un lien, une véritable coopération. Elle est venue à la salle d'entraînement, nous nous sommes entraînées ensemble. Elle a aussi réalisé elle-même quelques cascades. 

4. Avez-vous déjà doublé des stars?

Sur le tournage de la série «Emily in Paris», je suis tombée du premier étage de la Tour Eiffel, pour une scène de rêve de l’actrice principale, Lily Collins. J’ai aussi doublé Anaïs Demoustier pour le film «Fumer fait tousser» de Quentin Dupieux. Et je serai au générique de «La grande Odalisque», de Mélanie Laurent, pour lequel j’ai doublé Adèle Exarchopoulos. J’aime bien découvrir de nouveaux univers, avec des costumes que je ne porterais, sinon, jamais!

5. Certains acteurs sont-ils jaloux de ce que vous savez faire? 

Les stars doublées ne sont pas forcément présentes. Lorsqu’elles sont là, certaines nous posent beaucoup de questions et nous remercient. D’autres, au contraire, sont un peu frustrées et disent qu’elles auraient peut-être pu essayer. Mais il y a aussi des enjeux d'assurance. De plus, les actrices et acteurs doivent aussi pouvoir se concentrer sur leur jeu. 

6. Que pensez-vous des acteurs qui font eux-mêmes les cascades, comme Tom Cruise?

Tom Cruise est vraiment impressionnant. Il est parfois assisté par des cascadeurs professionnels pour préparer ses scènes et parfois, aussi, tester les actions en amont, mais pas toujours. Lui exécute la cascade finale. Je ne pense pas qu'il «vole» le travail des cascadeurs.

J'ai d’ailleurs l'impression qu’on parle de plus en plus des cascadeurs et que des acteurs mettent aussi en avant leur rôle. Mais le grand public ne connaît pas beaucoup de noms, à part, peut-être, Rémy Julienne, qui est devenu célèbre aux Etats-Unis aussi, ou l’Américaine Zoé Bell, grâce à Quentin Tarantino.  

370952

Estelle Piget a toujours fait du sport, de la gymnastique artistique au parkour, en passant par le volleyball et la danse. (Photo DR)

7. Est-ce qu’on peut être cascadeur si on a le vertige?

Etonnamment, il y a des cascadeurs qui ont le vertige! Tout dépend de la manière d’appréhender les choses et de préparer les scènes. Nous ne sommes pas des casse-cou! Nous avons aussi nos peurs individuelles. Nous devons apprendre à les affronter. Mais il peut arriver que quelqu’un dise qu’il n’est vraiment pas à l’aise avec une chute en hauteur. Il peut ne pas accepter ce type de scène. Notre but reste d’être le plus polyvalent possible. Moi, je sors de ma zone de confiance quand il s’agit d’eau. Mais cela ne m’empêche pas d’effectuer des chutes dans l’eau, ce que j’ai déjà fait à plusieurs reprises. 

8. Comment devient-on cascadeuse?

Certains se forment directement en travaillant sur des spectacles de cascade. Il est aussi possible de prendre des cours isolés puis de contacter directement des régleurs, c’est-à-dire les personnes qui conçoivent les cascades, en envoyant un film de démonstration. Et puis il y a des écoles, comme le Campus Univers Cascades. Leur avantage est de pouvoir toucher à toutes les disciplines et de se créer un réseau. Comme dans tout métier, certaines personnes sont autodidactes et réussissent de belles carrières. 

Certains se forment directement en travaillant sur des spectacles de cascade. Il est aussi possible de prendre des cours isolés puis de contacter directement des régleurs, c’est-à-dire les personnes qui conçoivent les cascades, en envoyant un film de démonstration. Et puis il y a des écoles, comme le Campus Univers Cascades. Leur avantage est de pouvoir toucher à toutes les disciplines et de se créer un réseau. Comme dans tout métier, certaines personnes sont autodidactes et réussissent de belles carrières.

9. La cascade, c’est toujours un métier d’hommes?

Nous sommes encore fortement minoritaires, mais c’est en train de changer. C’est la même chose avec les films: on voit de plus en plus des femmes guerrières ou au centre de l'action. Il y a aussi des régleuses de cascades.

10. Jusqu’à quel âge peut-on être cascadeur? 

Il n’y a pas d’âge limite. Certains continuent la cascade jusqu'à leur retraite. Les protections des cascadeurs sont de plus en plus techniques. Mais je pense aussi que de grosses chutes ont, avec le temps, un impact sur le corps. Avec l’âge, on choisit peut-être d’autres types de cascades. Il est aussi possible de s’orienter vers le métier de régleur. Donc c'est davantage une réflexion personnelle. Il faut connaître ses limites.

371756

La chorégraphie de scènes de combat fait partie de l'apprentissage du métier de cascadeuse. La scène est tirée du film "Cascadeuses", de Elena Avdija. (Photo Bande à part Films).

Bio Express

Estelle Piget, 32 ans, a grandi à Romorantin, dans le Loir-et-Cher, en France. Après une école d’ingénieure en agroalimentaire, elle a travaillé trois ans dans ce domaine, tout en faisant énormément de parkour. Grande sportive, elle a pratiqué la gymnastique artistique, le volleyball et la danse. Le parkour l’a amenée vers la cascade. Elle a suivi les cours du Campus Univers Cascades, au Cateau-Cambrésis (Nord) de 2018 à 2021.

Son modèle n’était pas une cascadeuse, mais un rôle, celui d’Angelina Jolie dans «Tomb Raider», qui «sait tout faire et n’a peur de rien», dit Estelle Piget.

Estelle Piget est l'une des trois cascadeuses dont le film documentaire "Cascadeuses", d'Elena Avdija (2022). 

Plus d'articles