Navigation

Métier

9 questions à une détective privée

Sabrina Bénézet prend en filature des conjoints volages ou traque des employés qui revendent les secrets de leur patron. Depuis vingt-deux ans, elle mène l’enquête en Suisse comme à l’étranger.

Texte Thomas Piffaretti
Date
Eye

 Pour des raisons de sécurité et afin de garantir les meilleurs services possibles à ses clients, la détective ne souhaite pas être prise en photo. (Illustration: Getty Images)

On a en tête l’image d’Épinal du détective privé qui planque seul dans sa voiture pendant des heures, sans pause pipi et avec des cartons de pizzas froides sur la banquette arrière. Réalité ou fiction?

Franchement, ce n’est pas si éloigné que ça de la vérité. Notre métier est effectivement fait de longs moments de surveillance et de filatures. Mais nous travaillons surtout en binôme.

Que faites-vous pendant les longs moments de surveillance? Des sudokus?

Non, pas du tout. On doit rester tout le temps concentré, être prêt à partir à n’importe quel moment si notre objectif bouge. Parfois le dispositif peut être déployé sur plusieurs jours, c’est pour ça qu’on a toujours un sac dans le coffre avec le nécessaire pour passer une nuit loin de chez nous. C’est tout un art, un jeu entre deux ou trois fileurs et la cible.

Qui sont vos cibles?

On couvre des activités très différentes. Ça va de l’époux ou de l’épouse qui soupçonne son conjoint d’entretenir une relation extraconjugale au patron convaincu que son employé exerce une activité annexe ou transmet des informations à la concurrence. Notre mission est de produire des preuves irréfutables à notre client qui pourra les utiliser, notamment dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Y a-t-il des particularisme dans les demandes en fonction des régions?

À Genève, on fait passablement de criminalité économique. Du côté de Fribourg, on a plusieurs cas d’employeurs qui veulent s’assurer de la bonne foi d’un salarié en arrêt maladie ou accident. Ça arrive qu’on les observe courir sans leur minerve. Pour les adultères, il n’y a pas de spécialité régionale, il y en a partout. Et c’est 50-50 entre hommes et femmes.

Comment est-ce que cela se passe lorsque vous annoncez à un client qu’il est trompé?

Il y a une vraie dimension psychologique à notre métier. Certains me disent qu’ils soupçonnent leur conjoint d’avoir une aventure depuis plus d’un an et que ça les ronge de l’intérieur. Ils ne pensent pas immédiatement à nous, mais on est vraiment là pour aider les gens, les soutenir et soulager leur peine.

Bio express

Administratrice de la société Sabrina Bénézet SA, la quadragénaire est arrivée dans le métier après des études de droit. Son mari, lui-même professionnel de la branche, lui en a transmis la passion. Depuis les années 2000, elle a développé son activité en Suisse et en Europe et compte désormais une dizaine de collaborateurs.

Les nouvelles technologies ont-elles chamboulé vos méthodes?

On est équipés de téléobjectifs qui permettent de prendre une photo à 800 mètres de distance. On a des caméras infrarouges ou avec vision nocturne et on possède aussi le matériel qui permet de nous assurer qu’un micro – grand comme une tête d’épingle – n’est pas caché au milieu des bouteilles d’eau d’une salle où une réunion sensible va se tenir. Mais sinon, on pratique à l’ancienne. Le coeur de notre métier reste la filature, pure et dure. Nous faisons très attention aux atteintes à la vie privée. On se doit de respecter la loi. Par exemple, si on veut des preuves d’un adultère, on ne pourra pas prendre de photos de deux amoureux qui s’embrassent lorsqu’on les voit à travers une fenêtre. Par contre, s’ils passent à l’action sur un balcon, nous pouvons les immortaliser selon le contexte. C’est aussi la raison pour laquelle on ne fouille pas dans les discussions WhatsApp.

Les personnes surveillées rendent-elles compte de votre présence?

Ça n’arrive pas. Et avec l’expérience, on sait improviser dans les situations un peu chaudes. C’est aussi pour éviter ces cas de figure qu’on emporte toujours deux ou trois tenues différentes pour se changer et mieux se fondre dans le paysage.

Détective privé, c’est une activité dangereuse?

Disons qu’il faut toujours avoir un oeil dans le rétroviseur, analyser, anticiper. Certains privés possèdent un permis de port d’arme. Personnellement, je n’ai jamais eu de problème.Ça fait partie de l’adrénaline de partir en mission. C’est surtout un métier usant, dans lequel on est toujours dehors, avec des horaires impossibles.

Être une femme dans un univers a priori masculin, est-ce un avantage?

C’est très clairement un plus! J’ai d’ailleurs plusieurs collaboratrices dans mes équipes. Une femme passe plus facilement inaperçue. Les gens s’attendent à voir quelqu’un avec une tête de détective, avec une coupe en brosse et un look de militaire. Ils se méfient moins d’une femme.

Plus d'articles