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Rouler jusqu’à 80 ans sans examen?

Jugés peu efficaces, les examens d’aptitude à la conduite, obligatoires à partir de 75 ans, sont sur la sellette. L’âge du premier contrôle pourrait être repoussé.

Texte Ariane Gigon
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Depuis 2019, les conductrices et conducteurs doivent, en Suisse, subir un examen médical contrôlant leur aptitude à tenir un volant à partir de 75 ans. Auparavant, cet âge était fixé à 70 ans. Ce type de dépistage n’est pas très répandu chez nos voisins européens: ni la France, ni l’Allemagne, ni l’Autriche ne le connaissent. En revanche, le Danemark, la Finlande, l’Espagne invitent systématiquement leurs aînés à se faire contrôler.

Ces examens empêchent-ils les accidents? Le Bureau de prévention des accidents (BPA) a voulu en avoir le cœur net et a commandé une étude. La question est d’autant plus importante que, démographie oblige, le nombre de personnes âgées augmente plus vite que celui des jeunes. Aujourd’hui, un détenteur de permis sur cinq (20,7%) a plus de 65 ans, contre 18,8% en 2017.

De plus, alors que le nombre total d’accidents de la circulation, avec blessés graves et décès, a baissé de 25% depuis le début du millénaire, il a augmenté de 22% chez les seniors de 70 ans et plus. Si, en proportion du nombre de permis de conduire, les 18-24 ans causent le plus d’accidents, les 75 ans et plus arrivent en tête du nombre d’accidents par kilomètres parcourus, devant les 65-74 ans. C'est ce qu'a montré Mario Cavegn, responsable de la division Circulation routière au BPA, lors d'un colloque consacré à ces questions. 

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En chiffres absolus, ce sont les jeunes conducteurs qui causent le plus d'accidents. Mais par kilomètres parcourus, ce sont les 75 ans et plus. 

(Source: Exposé Conduire à un âge avance, est-ce risqué? Mario Cavegn, responsable de la division Circulation routière, BPA, Forum BPA, 10.11.2022)

A priori, donc, il semble plus que judicieux de contrôler les capacités des seniors à manier un volant et à réagir correctement dans le trafic. Mais l’étude du BPA arrive à un autre résultat: l’efficacité des tests est pratiquement nulle, selon elle. En comparaison avec l’Allemagne et l’Autriche, le dépistage suisse n’a ni d’effets positifs – les tests n’ont pas fait diminuer le nombre d’accidents graves causés par des seniors –, ni négatifs. Ils auraient par exemple pu provoquer une hausse des accidents de piétons ou cyclistes âgés, comme cela a été constaté ailleurs. 

 

 

Réflexion en famille

Autre constat: la moitié des médecins se sont plaints que l’examen avait «nui à la relation avec leurs patients.» Etant donné «les importantes ressources» nécessaires à la réalisation de ces tests, le BPA estime qu’une suppression pourrait être envisagée, pour autant que des mesures de remplacement soient prises. Dans un premier temps, un relèvement de l’âge seuil à 80 ans pourrait être décidé.

Ces conclusions surprennent la fondation Road Cross Suisse, qui s’engage en faveur de la sécurité routière et propose aussi des consultations gratuites. Selon elle, les tests d’aptitude permettent de sortir du trafic des personnes dangereuses, pour les autres et pour elles-mêmes. «En général, l’invitation à passer le test permet déjà d’enclencher la réflexion. Ce sont souvent les enfants qui peuvent avoir peur quand leurs parents âgés conduisent», explique la directrice Stéphanie Anne Kebeiks. Dans le canton de Zurich, un des rares à livrer des chiffres, environ 10% des aînés redonnent leur permis à 75 ans, avant ou après avoir été convoqué au test d’aptitude. 

 

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Mara Zenhäusern, porte-parole du BPA

La santé, pas le principal argument

«Nous nous réjouissons que la discussion soit lancée», réagit Mara Zenhäusern, porte-parole du BPA. Elle rappelle que «les motifs de dépôt volontaire du permis sont très variés. La principale raison pour laquelle une personne renonce d’elle-même est qu’elle ne conduit plus depuis longtemps. En deuxième position vient un sentiment d'insécurité au volant. En troisième lieu, on trouve des raisons de santé.»

 

 

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Par rapport à leur nombre dans la population, les plus de 65 ans sont davantage victimes d'accidents et, aussi, surreprésentés au sein des personnes causant les accidents. (Forum BPA, 10.11.2022)

 

De leur côté, le TCS et Pro Senectute défendent l’auto­détermination et le sens des responsabilités des aînés. Les deux associations ne sont pas opposées à un changement de pratique. «Les restrictions de conduite ne devraient pas être motivées par l’âge, mais par l’état de santé individuel», estime Peter Burri Follath, porte-parole de Pro Senectute. Outre l’auto-évaluation proposée par le BPA, de nombreux seniors prennent volontairement des cours de conduite, optent pour des courses d’essai avec évaluation ou restreignent leurs rayons d’action. Certains ne conduisent plus la nuit.

Le BPA évoque d’autres mesures, comme la généralisation du 30 km/h et l’amélioration des infrastructures routières et de la lisibilité des panneaux. «Dans tous les cas, assure la porte-parole, il serait précipité de renoncer du jour au lendemain au système atuel.» Une étude sur les effets du relèvement de l’âge seuil de 70 à 75 ans devrait être réalisée prochainement.

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