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Séisme Turquie/Syrie

«Je n’avais encore jamais vu de telles scènes»

Collaborateur à Migros Neuchâtel-Fribourg, Raphaël Niederhauser est aussi sauveteur volontaire au sein du Corps suisse d’aide humanitaire. Il était récemment en Turquie où il a pu, avec ses coéquipiers, sauver onze personnes, dont deux bébés.

Texte Pierre Wuthrich
Date
Angehoerige der Schweizer Rettungskette besichtigen am 8. Februar 2023 in Antakya ein beschaedigtes Haus. (EDA/Michael Fichter)

Durant une semaine, les membres de la Chaîne suisse de sauvetage ont recheché des survivants à Antakya, notamment avec des chiens (photo: DFAE/Michael Fichter).

Raphaël Niederhauser, vous êtes arrivé en Turquie quelques heures après la fin du séisme. Quelle était la situation sur place?

Nous étions à Antakya, là où se situait l’épicentre. Nous avons tous été surpris par l’ampleur du désastre. La ville est rayée de la carte. Tout est détruit loin à la ronde et les rares bâtiments encore debout sont inhabitables. C’était ma troisième mission comme sauveteur, mais je n’avais encore jamais vu de telles scènes. Les gens dorment dans les voitures et allument des feux dans la rue, car les nuits sont très froides, avec un thermomètre qui affiche -8 degrés.

Concrètement, comment travaillez-vous?

Les Suisses ont été les premiers à arriver sur place. Nous avons donc commencé à définir différentes zones ne présentant pas de danger où l’on pouvait entreposer notre matériel et d’où nous avons commencé notre recherche. Comme il faut aller très vite, nous travaillons simultanément avec des chiens, des caméras et des sondes acoustiques pour repérer les survivants. Nous demandons alors aux familles qui attendent aux abords de ne plus faire aucun bruit. Immédiatement, on passe alors d’un énorme brouhaha à un impressionnant silence de mort. Dès qu’une trace de vie est repérée, nous commençons à creuser des galeries que nous devons étayer mètre après mètre. Il faut à chaque fois plusieurs heures pour sauver une personne.

Glueckliche Gesichter nach der Rettung einer Frau am 8. Februar 2023 aus den Truemmern eines Hauses in Antakya. (EDA/Michael Fichter)

Raphaël Niderhauser (au centre) après avoir sauvé une femme des décombres le 8 février 2023 à Antakya (photo: DFAE/Michael Fichter).

Comment vivez-vous ces instants de délivrance?

Ce sont bien sûr des moments merveilleux, car nous travaillons depuis des années rien que pour ces instants. En une semaine en Turquie, nous avons pu sauver onze personnes, dont deux bébés qui devaient avoir 4 ou 5 mois. Cela étant, l’euphorie ne dure jamais, car dès que l’on se retourne, on voit la tâche qui nous attend encore.

Et tout le monde ne peut pas être sauvé…

On voit beaucoup de choses horribles sous les décombres. Un moment très triste fut lorsque j’ai découvert une personne à qui j’ai pu parler. Je lui ai aussi donné de l’eau, mais j’ai tout de suite compris que ce serait impossible de la sortir de là. Sa jambe était complètement aplatie sous une dalle. Des coéquipiers ont ensuite essayé de l’amputer, mais elle est décédée… C’est ensuite à nous sauveteurs d’aller annoncer, avec un interprète, la nouvelle aux proches.

Ces scènes vous hantent-elles?

Certaines images resteront effectivement gravées en moi à jamais. Je me dis cependant que nous avons travaillé le plus vite possible et au mieux. Sur place, nous disposons d’une cellule psychologique et ici en Suisse, j’en parle à ma copine et mes proches, ce qui m’aide beaucoup. Ces catastrophes me font aussi relativiser mes problèmes et, paradoxalement, me permettent de mieux avancer dans ma vie.

Sur place, avez-vous eu peur?

Nous avons ressenti des centaines de répliques durant notre semaine de sauvetage. Les ingénieurs présents nous indiquent les maisons trop instables où l’on ne peut pas intervenir. Mais dans les autres, quand on est à plat ventre dans un boyau de 30 à 40 centimètres de diamètre, on pense à chaque instant au risque que l’on prend. Si un séisme de 5,5 frappe à nouveau, ce que personne ne peut bien sûr prévoir, eh bien nos chances de survie sont infimes.

Vous considérez-vous comme un héros?

Non, j’aime simplement faire le bien autour de moi. Si je peux apporter aux survivants un peu de bonheur dans leur malheur, alors je suis le plus heureux du monde. J’ai d’ailleurs toujours aimé venir en aide à autrui. J’ai été pompier à La Neuveville (BE) et, quand j’ai fait mon école de recrues, j’ai pu intégrer les troupes de sauvetage, ce qui m’a beaucoup plu. Ensuite, il y a eu les cours de répétition et des cours de perfectionnement annuels au sein de villages d’exercices en Suisse, où l’on se forme aux nouvelles techniques de sauvetage et où l’on teste les nouveaux outils. Bien évidemment, rien ne vous prépare au choc du terrain…

Vous travaillez à Migros et avez quitté votre poste d’un jour à l’autre. Comment a réagi votre hiérarchie?

Au moment de mon engagement, mon activité de sauveteur a été abordée, et Migros Neuchâtel-Fribourg n’y a vu aucun inconvénient. Mon collègue direct a pu me remplacer au pied levé, car, suite à l’appel du Corps suisse d’aide humanitaire, je suis parti dans l’heure. Mon matériel est toujours prêt. J’ai juste pris une douche et me suis rasé. Car ce sont deux choses que vous pouvez difficilement faire sur place.

De quoi parle-t-on?

Raphaël Niederhauser, 47 ans, est membre volontaire depuis 1999 du Corps suisse d’aide humanitaire (CSA), l’un des maillons de la Chaîne suisse de sauvetage, qui comprend aussi la Rega et Redog, la Société suisse des chiens de recherche et de sauvetage. Avec 87 autres secouristes suisses, il est parti récemment en Turquie pour retrouver des survivants des séismes du 6 février, dont le plus fort a atteint une magnitude de 7,8.

Quand il n’est pas en mission, Raphaël Niederhauser est technicien de maintenance à Migros Neuchâtel-Fribourg. À la centrale d’exploitation de La Tène (NE), il s’occupe de réparer et d’entretenir les installations électriques, les chauffages et les systèmes de ventilation.

Originaire de La Neuveville (BE), Raphaël Niederhauser vit à Ins (BE) avec sa compagne.

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