Elles sont les principaux pollinisateurs des fleurs. Sans ces abeilles, plusieurs fruits n’existeraient pas. La spécialiste Antonia Zurbuchen explique pourquoi elles sont menacées et comment les aider.
Texte
Jörg Marquardt
Date
Format
Interview
Selon la Liste rouge, nous avons perdu 60 espèces d’abeilles en Suisse ces trente dernières années. Quelle est la gravité de la situation?
Antonia Zurbuchen: Il y a des raisons de s’inquiéter. Un nombre croissant d’abeilles sauvages manquent de nourriture et d’espace vital. Environ 45% des espèces sont donc menacées, comme l’a indiqué la Liste rouge publiée l’année dernière.
Quelles en sont les raisons?
Les abeilles manquent de nourriture et d’espace vital. Notre paysage a connu une profonde mutation au cours des dernières décennies. La disparition des prairies et l’imperméabilisation des sols empêchent les ressources de nidification de se développer.
Pourquoi les abeilles sauvages sont-elles si importantes?
Elles accomplissent une grande partie du travail de pollinisation et contribuent ainsi à la biodiversité, y compris dans nos assiettes. Si l’extinction des abeilles se poursuit à ce rythme, nous aurons nettement moins de fruits et de baies, tels que des pommes, des poires, des cerises, des fraises, des framboises ou des myrtilles.
Mais il y a aussi les abeilles mellifères.
Elles sont également de précieuses pollinisatrices, mais ne peuvent se substituer au travail des abeilles sauvages. Une multitude de plantes est butinée par des abeilles sauvages spécialisées. Prenons les fleurs de tomates: leur pollen ne peut être obtenu qu’en les secouant, ce qu’une abeille mellifère est incapable de faire, contrairement aux grandes espèces d’abeilles sauvages comme le bourdon. En outre, les abeilles sauvages sont des pollinisatrices plus efficaces.
Pour quelle raison?
Parce que certaines d’entre elles récoltent le pollen à sec et ne le collent pas à leur corps avec de la salive comme les abeilles mellifères. En constituant de tels vecteurs de pollen, elles le répandent davantage lorsqu’elles butinent les fleurs suivantes.
Les abeilles mellifères sont-elles moins menacées?
La Suisse abrite une très forte densité d’abeilles mellifères et en ce sens, l’espèce n’est pas menacée. Mais on ne la trouve plus que chez les apiculteurs et apicultrices et non à l’état sauvage. Les acariens et les maladies des abeilles sont problématiques, tout comme l’utilisation de pesticides.
À quoi ressemble la cohabitation entre abeilles mellifères et abeilles sauvages?
Une rencontre a parfois lieu sur la fleur, lorsqu’elles recherchent de la nourriture. Mais c’est la loi du plus fort qui l’emporte dans ce cas et la plupart du temps, les grandes chassent les petites. L’agressivité augmente à proximité du nid.
Pour quelle raison?
Parce que les abeilles investissent beaucoup dans leur progéniture. Dès qu’une abeille étrangère ou un parasite s’approche du nid ou y pénètre, une abeille sauvage mord ou pique.
Les abeilles sauvages sont-elles plus «sauvages» que les abeilles mellifères?
Elles sont nettement plus pacifiques envers nous, les humains, car nous ne leur volons pas leurs réserves de nourriture.
Combien de variétés d’abeilles sauvages y a-t-il en Suisse?
Je dirais bien 600. Et elles sont très disparates. Il en existe des grandes et des petites, des chauves et des poilues, des élancées et des grassouillettes, des rouges, des noires, des jaunes ou des irisées.
Les reconnaissez-vous toutes du premier coup?
Non, de nombreuses espèces se distinguent par d’infimes détails, identifiables uniquement au microscope. Mais l’abeille maçonne ou osmie cornue, par exemple, se reconnaît à sa couleur noire et rouge et à ses cornes. On la trouve presque partout en Suisse.
Vous avez étudié les abeilles sauvages. Quelle fascination exercent-elles sur vous?
Leur individualité! J’ai marqué des abeilles sauvages pour ma thèse de doctorat. J’ai constaté ce faisant que leur sens de l’orientation était plus ou moins développé. Certains individus avaient constamment du mal à retrouver leur nid.
Combien de fois par jour une abeille s’envole-t-elle butiner pour récolter du pollen?
10 à 50 fois pour fournir suffisamment de pollen et de nectar à un seul descendant. Dans les régions riches en fleurs, elle doit voler moins loin, ce qui lui facilite grandement la tâche. De plus, le nombre de vols pour récolter du pollen dépend des touffes de poils sur les pattes arrière ou sur l’abdomen où il est stocké. Plus les touffes sont grandes, plus le pollen reste accroché et moins les vols sont nombreux.
Vous proposez des cours sur la protection des abeilles à l’École-club Migros. Qu’apprend-on chez vous?
La diversité des abeilles sauvages, leur mode de vie fascinant et leurs besoins. Nous allons examiner leurs habitats dans les environs des lieux de cours, et discutons des moyens de les améliorer. Si la météo le permet, nous observons aussi les abeilles sauvages.
Que pouvons-nous faire pour que les abeilles se portent mieux de manière générale?
Augmenter leurs ressources alimentaires! Nous devons préserver le patrimoine des habitats riches en espèces: prairies, pâturages maigres, jachères et ourlets herbeux. L’agriculture devrait parallèlement réduire l’utilisation de pesticides et créer de nouveaux espaces vitaux. Il en va de même pour les zones d’habitation.
Et que pouvons-nous faire à petite échelle?
Planter des fleurs sauvages, notamment dans des pots sur le balcon. Celles et ceux qui ont un jardin peuvent créer de petites structures propices à la nidification: aménager des tas de bois mort resté au soleil et laisser sur place des tiges de plantes contenant de la moelle. Les étendues de sol à nu sont particulièrement importantes, car plus de la moitié des abeilles sauvages viennent y nicher.
Quel est l’intérêt des hôtels à abeilles faits maison que l’on voit un peu partout?
Ils aident à sensibiliser le public à la protection des abeilles. Les hôtels à abeilles n’attirent que certaines espèces relativement répandues. Une offre de nourriture dans le jardin ou sur le balcon est bien plus importante. À quoi sert le meilleur hôtel s’il n’y a pas de restaurant à proximité?
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